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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/478

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ambassadeurs du Roi-pétrole, les dispensateurs de ses faveurs. Ils détiennent Bakou et ses vastes gisements, les terrains pétrolifères du Caucase, de la Caspienne, de l’Oural, de la Sibérie, bref les champs les plus riches après ceux du Mexique, et surtout les moins exploités. C’est un immense avenir industriel qui s’ouvre pour celui à qui les Soviets accorderont des concessions d’exploitation ou des contrats de vente. Et c’est ici l’un des secrets ressorts qui font mouvoir les personnages autour de la Conférence. Les Anglais tiennent pour démontré que le maintien de leur traditionnelle et nécessaire suprématie navale est lié à la disposition de stocks considérables de pétrole, de mazout, d’essence ; le pétrole serait l’avenir de la navigation, de l’aviation, de l’industrie ; il se substituerait, pour beaucoup d’usages, au charbon. L’Angleterre qui voit loin quand il s’agit de son hégémonie sur les mers et de la cohésion de son Empire, tient donc à s’assurer le plus possible de gisements pétrolifères ; elle aperçoit, dans la décomposition de la Russie, un moyen d’accaparer les pétroles russes. Par le « pipe-line » de Bakou à Batoum, le naphte arrive à la Mer-Noire où les bateaux anglais peuvent venir le chercher et l’amener par les détroits de Constantinople, — qui doivent donc demeurer sous la surveillance britannique, — jusqu’aux ports de l’Empire. On savait depuis longtemps que les deux grandes Sociétés pétrolières que l’Angleterre contrôle, la Royal Dutch et la Shell, étaient en pourparlers avec les représentants des Soviets ; et voici qu’à Gênes éclate la nouvelle qu’un contrat est, sinon signé, tout au moins virtuellement conclu, par lequel ces deux sociétés auraient obtenu, à défaut de concessions que les Soviets répugnent à accorder, un contrat leur donnant le droit exclusif d’exploiter et de vendre les pétroles sur le territoire russe.

Un jour nouveau éclaire la Conférence ; des démentis peu précis s’entrecroisent avec des affirmations réitérées, documentées. Les spécialistes du pétrole affluent de tous les pays vers Gênes. La spéculation se déchaîne. La question du pétrole, économique, mais aussi politique, est posée. La Standard Oil, le grand trust américain des pétroles, s’émeut ; elle a naguère réussi à obtenir sa part en Mésopotamie ; l’obtiendra-t-elle en Russie, en Sibérie ? Derrière elle, il y a le Gouvernement des États-Unis. Et voici reparaître la rivalité navale et industrielle des deux grands États anglo-saxons ; le rapprochement, si adroitement ménagé entre eux à Washington par M. Balfour, ne serait-il pas remis en question ? La renonciation à l’alliance anglo-japonaise ne serait-elle qu’un trompe-l’œil ? Et l’amitié et la paix