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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/571

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cette peinture fasse au passant interloqué l’effet d’être plus « moderne » ou plus « avancée » qu’une autre. Les portraits de Champmartin ou de Winterhalter étaient tenus pour modernes et avancés au regard des portraits de Fragonard, et nous avons connu un temps où la jeune critique saluait ceux de M. Carolus Duran comme inaugurant la peinture de l’avenir en face de M. Ingres voué à l’oubli. Ils n’en sont pas meilleurs pour cela et ceux de M. Ingres comme ceux de Fragonard, quoique démodés en leur temps, paraissent plus jeunes et plus vivants aujourd’hui que ceux de Winterhalter ou de Carolus Duran.

Les paysages, à ce Salon, sont nettement supérieurs aux portraits et les étrangers aux français, bien que ce soit encore des Français qui ont signé les plus émouvants témoignages sur la nature : MM. Le Sidaner, René Ménard, Dauchez. Les trois tableaux de M. Le Sidaner : Jets d’eau, Fenêtre sur le port et Automne, ressemblent à des tapisseries passées et d’autant plus harmonieuses, d’ailleurs, selon le sentiment décoratif que je signalais plus haut. Mais c’est un heureux sentiment. On demeure longtemps devant ces jets d’eau, faits comme des arbres liquides, qui se défeuilleraient goutte à goutte, et ces hauts arbres des allées de Versailles faits comme des jets d’eau qui resteraient suspendus avec leurs ramures transparentes, frissonnantes et prêtes à se dissoudre, et ces balustrades aux rinceaux qui semblent prêts à se dérouler et se perdre dans la mouvante et palpable atmosphère.

Une curieuse innovation de M. Le Sidaner, c’est qu’il s’est décidé, en ses Jets d’eau, à représenter les nappes qui retombent successivement du faite liquide, comme elles le sont dans la réalité, c’est-à-dire cohérentes dans le sens horizontal et non pas, comme on les représente d’ordinaire, en filaments verticaux. Elles ont l’air, ainsi, des étages d’une pagode chinoise et étonneront un peu ceux à qui ces effets ne sont pas familiers, pour n’avoir pas perdu des heures à guetter les aspects de la nature. Mais une fois prévenus, ils les pourront voir.

Les admirables pages de M. René Ménard : Bucoliques, Baigneuses au crépuscule, Héraclès tueur de lions, sont tout autre chose que des paysages, puisqu’il les peuple de dieux ou au moins de statues dans le style adopté par les anciens faiseurs de Dieux, mais quand il n’y aurait que la montagne et la mer, elles suffiraient à les évoquer. Lorsqu’on parcourt les rives