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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/577

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vont maintenant en foule, et malgré le mépris bien naturel de l’artiste romantique pour les contingences de la politique, avouons-le : les progrès qu’y ont fait les Droits de l’Homme ou la sécurité publique y sont bien pour quelque chose. On verra, dans la salle des Orientalistes, le Souk aux cuirs à Rabat, de M. Lanternier, et la Rue couverte à Fez, par M. Styka, deux effets de quadrillage ombré, habituels dans ces villes, un Ksar à Figuig, de M. de Broca, et un Marché de M. Beaume. Mais les grandes pages inspirées par l’Afrique du Nord sont d’abord le défilé de femmes blanches, devant un coteau couvert de tombes, le long d’un étalage d’oranges et de sucreries : Au Cimetière d’El-Kettar, par M. Dubois, ensuite l’impression faite par le Cimetière de Monastir en Tunisie, à M. Dabadie. Il faut citer enfin le Jour de marché à Ghardaia, par M. Bouviolle où la foule mouvante est admirablement saisie, les Toits de Touggourt, dans une lumière voilée très fine, par M. Poole-Smith, et les grands panneaux de M. de Buzon : le Printemps en Kabylie, la Caravane, en Kabylie pendant l’automne, et Femmes et villages de Kabylie. Traitées avec un parti pris décoratif, dans l’esprit du vitrail ou de la mosaïque, ces trois pages pleines, intéressantes, harmonieusement colorées, transportent l’esprit dans un monde lointain, grave, reposant, et lui parlent longuement.

C’est ce qu’on voudrait trouver précisément dans la salle tout entière consacrée à M. Henri Martin, où trois immenses panneaux occupent trois parois, le reste meublé par les études qui ont servi à les faire. Ce sont des images de la vie ouvrière et paysanne : des gens remuent des choses sur un quai, à Marseille sans doute, d’autres moissonnent dans une plaine du Nord. Destiné à décorer le nouveau palais qu’on a édifié dans une rue si étroite qu’il masque et opprime une église voisine et ne se laisse pas voir lui-même, cela s’appelle : la France laborieuse se présentant devant le Conseil d’État. Voilà de ces clartés qu’il fait bon trouver dans des catalogues ou des guides : qui donc, tout seul, s’en aviserait ? En fait, ces gens se « présentent » presque tous de dos et courbés sur leurs tâches utiles. Sauf un promeneur, égaré dans une interminable forêt, qui celui-là ne fait rien que d’essayer de comprendre peut-être ce qu’il vient de lire, car il tient un livre derrière son dos et en parait tout courbatu. Il ne se « présente » pas plus que les autres devant le Conseil d’État : il s’en va... Mais qu’importe la