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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/70

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V. — 1899


Philippe Pageyran à Edmond Larmechin.


Paris, juin 1899.

Votre lettre, Larmechin, m’a simplement indigné. Malgré certains murmures annonciateurs, je me refusais à croire que vous vous étiez rangé, vous aussi, dans la troupe des pharisiens brusquement déchainée contre votre maître et ami M. Renaud Dangennes. Les murmures ne mentaient pas. Ils ne mentaient que par insuffisance. Votre lettre les dépasse. Et vous leur apportez, à ces messieurs, la plus grosse pierre dont ils pensent assommer le grand homme.

Oh ! je sais ! Vous vous défendez d’agir par haine, ou entraînement, ou calcul, ou par quelque autre raison venue du dehors. Vous souffrez d’agir ainsi, vous en êtes désespéré. C’est votre culte pour M. Dangennes qui se révolte contre M. Dangennes lui-même, coupable de trahir son propre culte. Et si vous n’aimiez pas M. Dangennes, dites-vous, vous ne lui donneriez pas tant d’insultes. Ce dernier mot n’est pas de vous. Mais ce sont bel et bien là des insultes sous le couvert d’étonnement douloureux et d’idéal blessé.

Eh bien ! c’est vous, Larmechin, le plus coupable, et non les confrères intéressés ni les disciples impatients. C’est vous, parce que vous vous prétendez inspiré par le seul amour dans cette campagne odieuse. Mais je vous estime encore assez, pour tenter de vous arracher aux nuées où s’égare votre vieille affections pour le maître impeccable.

Oui, deux ans à peine après avoir perdu sa femme, — et vous n’avez pas à m’apprendre les mérites de cette femme, — oui, M. Dangennes va contracter un nouveau mariage. Ne feignez pas d’accorder à M. Dangennes le bénéfice d’un doute ultime sur ses intentions, ni de trouver que M. Dangennes « témoignerait » à tout le moins d’une hâte critiquable.

Ah ! ce « témoignerait » est d’une pudeur superflue, Larmechin. Dites franchement : « Il témoigne. » Dites aussi : « Qui l’aurait cru ? » puisque toute votre lettre étouffe de cette exclamation rentrée.