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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/81

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La cause des Alliés perd en Trépow sa plus forte garantie. Et je crains que la monarchie des tsars ne perde aussi, dans ce loyal et rude serviteur, son dernier soutien, sa dernière sauvegarde.



Jeudi, 11 janvier.

Hier, la grande-duchesse Marie-Pavlowna m’a fait inviter à déjeuner aujourd’hui avec mon premier secrétaire, Charles de Chambrun.

A une heure moins quelques minutes, j’arrive au palais Wladimir.

Je commence à monter l’escalier, quand le général Knorring, attaché à la personne de la Grande-Duchesse, descend hâtivement vers moi, en remettant une lettre à un colonel, qui s’éloigne d’un pas rapide.

— Excusez-moi, me dit-il, si je ne me suis pas trouvé dans le vestibule pour vous recevoir. Nous vivons des heures si graves !

Je remarque son teint blême, ses traits tirés.

Nous n’avons pas gravi quatre marches ensemble, qu’un autre colonel apparaît à la porte d’entrée : Knorring redescend aussitôt.

En atteignant le palier supérieur, j’aperçois, par la porte du salon grande ouverte, le magnifique décor de la Néwa, la cathédrale des Saints-Pierre-et-Paul, les bastions de la Forteresse, la prison d’État. Dans l’embrasure de la fenêtre, l’exquise Mlle Olive, demoiselle d’honneur de la Grande-Duchesse, est assise, toute pensive, le visage tourné vers la Forteresse : elle ne m’entend pas venir.

J’interromps sa rêverie :

— Mademoiselle, je viens de surprendre, sinon vos pensées, du moins la direction de vos pensées. Il me semble que vous regardez bien attentivement la prison !

— Oui, je regardais la prison. En des jours pareils, on ne peut pas se retenir de la regarder.

Elle ajoute avec son joli rire, en se tournant vers mon secrétaire :

— Monsieur de Chambrun, quand je serai là-bas, en face, sur la paille des cachots, viendrez-vous me voir ?