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épaules des paniers pleins de riz. Garçons et jeunes gens portent les jarres de vin, avec le repas de viande qui paiera les moissonneurs de leur dure besogne ; ils peinent sur la colline du Sud, les pieds brûlés par le sol fervent, le dos cuit par le soleil. Fatigués, ils travaillent encore, comme s’ils ne sentaient pas cette étouffante chaleur, et, long jour d’été, ils te reprochent d’être trop court. Derrière eux marche une pauvre femme, un enfant contre le sein : de sa main droite, elle glane le grain tombé ; à son bras gauche pend un panier cassé. Et moi, qui suis là aujourd’hui, de quel droit n’ai-je jamais encore pris soin d’un champ ni d’un arbre ? Ma paie est de trois cents mesures de grain et, à la fin de l’année, il m’en reste encore. En me disant cela, j’ai senti une honte secrète s’insinuer en moi et, tout le jour, cette pensée a travaillé mon esprit. »


LE RÊVE

« Cette nuit, j’ai rêvé que j’étais revenu à Chang-an. Je revoyais le visage des vieux amis et, dans mon rêve, sous un ciel d’avril, ils me prenaient par la main pour vagabonder au vent du printemps. Nous arrivions ensemble au village de la Paix et du Recueillement. Nous arrêtions nos chevaux à la porte de Yuan Tchen. Il était assis, parfaitement seul. Quand il me vit, un sourire parut sur sa face. Il me montra les fleurs dans la cour de l’Ouest ; puis, au Nord, dans sa maison d’été, nous nous versâmes du vin. Il me semblait qu’il disait qu’aucun de nous deux n’avait changé. Il me semblait qu’il regrettait que la joie fût si passagère, que nos âmes ne se fussent rencontrées que pour un moment, et qu’il fallût nous quitter de nouveau, après avoir eu à peine le temps de nous saluer. Je m’éveillai, je crus qu’il était encore près de moi. J’étendis la main, il n’y avait absolument rien. »


CONGÉ DS MALADE

« Appuyé aux coussins, libre de toute affaire, j’ai passé deux jours étendu, derrière mes portes fermées. Je commence à croire que ceux qui ont un emploi ne connaissent pas de repos, à moins de tomber malades. Pour de paisibles pensées, on n’a pas besoin de beaucoup de place. La chambre où je suis gisant