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pour retenir les terres, indiquent la densité de la population et ses connaissances agronomiques. Ainsi toute cette région était cultivée et irriguée artificiellement avant la conquête espagnole. Les bas-fonds étaient alors insuffisants pour nourrir les habitants du pays, qui devaient bâtir leurs champs aux flancs escarpés des montagnes, les fertiliser par le guano dont ils connaissaient les propriétés, puis y conduire des canaux pour les arroser. A la fin du XVIIIe siècle, la population du Pérou était réduite à 2 millions et demi d’habitants ; elle dépasse aujourd’hui 7 millions, mais on estime sans invraisemblance qu’elle était de 8 millions environ à l’arrivée de Pizarre. Les patients travaux des Incas ne sont pas restés inutiles partout ; sur certains points, des entreprises agricoles ont retrouvé les sources, réparé les canaux et les murs de soutènement et remis les terrasses en culture ; et la terre a rendu alors plus qu’on ne l’espérait, et ces excellents résultats sont très encourageants.

La voie passe sur le pont hardi de Las Verraguas, qui doit son nom à une affection spéciale à certaines contrées du Pérou et qu’on attribue à l’eau de boisson : le corps se couvre de verrues qui prennent d’énormes dimensions, de coloration violacée et d’une nature putride, qui amène souvent la mort ; environ 3 000 ouvriers qui travaillaient là ont été atteints. Le pont domine de 80 mètres un ravin verdoyant. Plus loin, nous franchissons le pont de l’infiernello (petit enfer) qui réunit deux tunnels par-dessus une crevasse à pic, d’une horreur sinistre.

Mais nous continuons notre ascension. Au début, on respire plus facilement dans l’air plus léger, et c’est une sensation de bien-être ; mais, l’oxygène s’y faisant plus rare, la respiration et le battement du cœur s’accélèrent. Le médecin de la mission militaire française, qui nous accompagne, nous conseille d’éviter tout effort et même de rester étendus, si nous éprouvons un malaise, en attendant que nous soyons habitués à ce nouveau milieu. Toutefois, nous voici à table, avec un appétit variable selon chaque tempérament. Mon jeune officier d’ordonnance pâlit à vue d’œil et n’entend plus les plaisanteries sur la sensibilité de son cœur... Il s’évanouit et nous l’étendons sur un lit. Le ballon d’oxygène le ranime, mais voici une nouvelle syncope, complète cette fois. Heureusement, le train arrive à Casapalca, station bien installée (140 kilomètres de Lima, altitude de 4 170 mètres) qui possède un médecin ; il est à peu près solide