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hiérarchie du cérémonial, puisqu’elle n’était qu’une épouse morganatique.

Il n’y eut donc pas de réception à la gare Nicolas. L’Empereur passa directement de son train dans sa voiture, où il fit monter avec lui la princesse Youriewsky.

Au Palais d’hiver, une surprise attendait la princesse. Le Tsar lui avait fait préparer un appartement vaste et somptueux, à la suite des trois modestes chambres qu’elle occupait auparavant.


VIII

L’année 1881 débuta sous d’heureux auspices pour le général Loris-Mélikow. Ses patients efforts, sa flexible et ingénieuse ténacité allaient recevoir enfin leur récompense. Après de nouvelles temporisations, Alexandre II avait consenti à introduire, dans le mécanisme de la monarchie impériale, un organe représentatif. De plus, — et ce résultat ne faisait pas moins d’honneur à l’habileté du ministre, — le Césaréwitch se déclarait pleinement rallié, de conscience et de raison, aux volontés paternelles. Aussi, le 29 janvier, revenant d’une longue visite au Dvoretz de la Perspective Newsky, Loris-Mélikow avait-il pu dire à Catherine-Michaïlowna : « Désormais, le grand-duc héritier nous est tout acquis ! » En même temps, les familiers du palais Anitchkow, indignés, consternés, se répétaient : « La Russie est perdue, l’abîme va s’ouvrir. Le Césaréwitch est tombé dans les pièges du charlatan arménien ! »

En fait, la réforme était des plus modestes : elle amplifiait simplement les attributions des Zemstvos, qui enverraient dorénavant des délégués au Conseil de l’empire, afin d’y participer à l’élaboration des lois. Même ainsi transformé, le Gosoudarstvenny Soviet resterait limité au rôle consultatif.

Si restreinte et timide que paraisse l’innovation, elle n’était pas moins considérable. Elle faisait pénétrer dans les institutions archaïques de la Russie le principe fondamental des régimes libres et des Etats démocratiques, le principe de la représentation nationale. Pour la première fois, le peuple russe interviendrait dans l’exercice de la puissance législative. Le nouveau Conseil de l’empire ne pourrait certes pas se vanter d’être un Parlement : il en serait du moins le germe et comme le précurseur.