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qui vinrent en Égypte sur le désir que Méhémet Ali avait exprimé au roi Louis-Philippe d’avoir des collaborateurs pour son œuvre de régénération. Il assista à la bataille de Nézib entre les Égyptiens et les Turcs, et, pour sa part de butin, reçut la tente de celui qui devait être un jour le maréchal de Moltke. La guerre finie, il se maria dans une famille française fixée à Saïda, depuis le xviiie siècle, et demeura dans cette antique Sidon comme médecin de l’armée turque. D’illustres voyageurs, Saulcy, Rey, l’y vinrent voir, demeurèrent en relation avec lui pour des questions de botanique, de zoologie, de géographie, et le signalèrent au jeune Renan, leur protégé. Quand celui-ci, en octobre 1860, ouvrit au long de la côte ses chantiers de Gebeil, de Saïda, de Ruad, d’Oum el Amad (près de Tyr) et d’Amrit, il eut pour aide principal M. Gaillardot.

Les fils de cet homme excellent vivent toujours, l’un à Alexandrie et l’autre à Beyrouth. Je les connais tous deux, et c’est une chance précieuse que je puisse aujourd’hui faire, avec M. Henri Gaillardot, cette excursion d’Amschit auprès de la tombe d’Henriette Renan.

— Nous irons déjeuner là-bas, m’a dit M. Gaillardot, et nous passerons au pied de Ghazir, où fut écrite la Vie de Jésus ; ainsi vous aurez vu tout l’horizon que préférait Renan.

Le petit chemin de fer que nous prenons, un matin, court le long du rivage phénicien, au milieu des chênes verts, des caroubiers, des tamaris, des pins et des pierrailles. La mer bleue et verdâtre vient le battre de ses écumes mourantes, tandis qu’à deux pas, sur nos têtes, s’étagent les premiers contreforts du Liban, et la multitude des sommets qui portent jusqu’au ciel des villages, des couvents, des chapelles. De notre wagon, nous voyons continuellement Beyrouth bleue et rose, et cette image mêlée au bruissement de la mer, à la fraîcheur de la brise, à la neige des cimes, à l’immortalité des hauts lieux, crée une harmonie qui fascine tous les sens. Qu’importe si les constructions sont trop souvent communes et laides ! Ou s’explique que cette douceur et ce syncrétisme de souvenirs aient marqué Renan pour la vie.

Bientôt, descendus du train, nous montons dans une voiture que tirent deux petits chevaux syriens, nerveux et gentils, menés par un enfant.