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une lettre de Corneille à Boisrobert du 23 décembre, le cardinal consentira à ce que Corneille réponde aux Sentiments de l’Académie et lui fait même dire qu’il « en sera très aise. » Mieux même, Corneille imaginera si peu que le cardinal soit contre lui dans toute cette affaire, qu’il lui demandera la permission de lui dédier cette réponse, et que Richelieu acceptera volontiers ! II serait difficile de trouver un ensemble de faits plus concluant.

Dès lors, la critique a quelque peine à comprendre le récit connu plein de contradictions, d’obscurités et d’incohérence d’une prétendue scène qui aurait eu lieu à Charonne entre Richelieu et les rédacteurs des Sentiments de l’Académie. Ce récit viendrait, parait-il, de Chapelain. Mais, dans la trentaine de lettres que nous avons de Chapelain relatives à la question du Cid, il n’y a pas une allusion ni à cette scène, ni à aucune audience donnée par Richelieu aux représentants de l’Académie. D’après ce récit, Richelieu ferait une mercuriale aux académiciens. Mécontent du projet des Sentiments, il en arrêterait l’impression. Comme il en a vu le manuscrit, qu’il l’a fait corriger dans le sens de « l’adoucissement, » s’il est mécontent, c’est qu’apparemment, aux épreuves, il ne trouve pas le texte assez modéré encore. Il demande à Sirmond de refaire le travail. Or, nous savons que Sirmond est favorable à Corneille et a écrit pour le défendre. C’est donc, à n’en pas douter, que Richelieu veut voir accentuer la bienveillance du factum à l’égard de l’auteur du Cid. Sirmond refait le travail qui ne satisfait pourtant pas Richelieu. Chapelain reprend le texte primitif, et c’est celui-ci qui sera publié, « fort peu différent, dit-on, de ce qu’il était la première fois, » maintenant accepté par Richelieu et l’Académie. Alors, pourquoi la mercuriale de tout à l’heure ? Si le sens général de ce récit est de nous faire croire que Richelieu, en haine du Cid, a exigé de l’Académie plus de sévérité à l’égard de Corneille, le commentaire critique du détail de ce même récit, on le voit, nous amène exactement à la conclusion contraire ; en sorte que, si on admettait l’anecdote authentique, on n’en pourrait retenir que ceci, à savoir que Richelieu a été irrité de la malveillance de l’Académie à l’égard de Corneille et a pris la défense du poète.

En définitive, Richelieu serait donc bien intervenu dans la rédaction des Sentiments de l’Académie, — non, comme on le dit, pour accroître la rigueur du jugement de la Compagnie contre Corneille, mais seulement afin de le tempérer en protégeant