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insupportable à l’honneur français de trouver encore à Madrid l’ambassade espagnole, l’orgueil castillan autorisant à penser que le retard n’est pas involontaire. Il l’est cependant, imputable non à l’orgueil espagnol, mais à la gêne momentanée de Pastrana, car ledit duc (l’ambassade étant à ses frais) « avait été plus arrêté par faute d’argent qu’autrement, et, se trouvant empêché d’en trouver promptement, il en demandait au roi d’Espagne. » Enfin, la résolution du partement est prise pour le jeudi suivant.

Par Miranda sur l’Èbre, Pancorbo, Briviesca, Burgos, le duc de Mayenne poursuit lentement sa route. Il ne se plaint plus de n’être reçu que par des gens de peu. Les alguaziles de corte marchent toujours devant lui, veillant aux approvisionnements et aux logis ; « mais, écrit l’ambassadeur, sans me faire aucun présent de chose quelconque, ni y mettre le taux et ordre que l’on m’avait fait espérer, de sorte que toutes choses sont extrêmement chères, et n’est pas croyable à qui ne l’éprouve. »

C’est au château de Lerme, — de Madrid le duc de Lerme a envoyé ses ordres à son intendant, — que les fourriers royaux conduisent le duc de Mayenne. La plupart des Français ne connaissent guère don Francisco Gomez de Sandoval y Royas, marquis de Denia et duc de Lerme, que par les récits de son secrétaire, Gil Blas de Santillane. Pour eux, le duc de Lerme est bien plus un personnage sympathique de Gil Blas qu’une grande figure de l’histoire d’Espagne.

Génie facile et médiocre, le duc de Lerme gouvernait depuis quatre ans Philippe III et l’empire espagnol. D’une intelligence bien inférieure à celle du sombre Philippe II, il était presque aussi puissant que lui. Ses meubles, ses joyaux, d’une valeur de six millions d’écus d’or, ses revenus qui lui en rapportaient sept cent cinquante mille chaque année, permettaient au favori de recevoir le duc de Mayenne avec une royale somptuosité.

Mayenne, cependant, eut d’abord une inquiétude et une surprise. Ses valets ayant été envoyés en avant, on leur refusa le porte ; ils revinrent au-devant de leur maître qui ne put imaginer la cause de ce refus. Néanmoins, il passa outre ; arrivé dans la cour du château, à la porte du perron, la porte fut « tout soudain ouverte, » et à cette ouverture, se répandit la plus suave odeur. Une odeur pareille sortait de toutes les chambres : cause maintenant apparente du refus fait aux valets. Salles et