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LE PROCES DES FLEURS DU MAL

De la page 187 à la page 197, les deux pièces 80 et 81 intitulées : Lesbos et Les Femmes damnées sont à lire toutes entières. Vous y trouverez dans leurs détails les plus intimes les mœurs des tribades.

À la page 203, la pièce 87, intitulée Les Métamorphoses du Vampire, débute par ces vers :

La femme cependant, de sa bouche de fraise,
En se tordant ainsi qu’un serpent sur la braise
Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,
Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc :
« Moi, j’ai la lèvre humide, et je sais la science
De perdre au fond d’un lit l’antique conscience.
Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants
Et fais rire les vieux du rire des enfants.
Je remplace, pour qui me voit nue et sans voile,
La lune, le soleil, le ciel et les étoiles !
Je suis, mon cher savant, si docte aux voluptés,
Lorsque j’étouffe un homme en mes bras veloutés,
Ou lorsque j’abandonne aux morsures mon buste,
Timide et libertine, et fragile et robuste,
Que sur ces matelas qui se pâment d’émoi,
Les anges impuissants se damneraient pour moi. »

Sans doute, Baudelaire dira qu’à la strophe suivante il a fait la contrepartie en écrivant ces autres vers :

Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,
Et que languissamment je me tournai vers elle
Pour lui rendre un baiser d’amour, je ne vis plus
Qu’une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus.

De bonne foi, croyez-vous qu’on puisse tout dire, tout peindre, tout mettre à nu, pourvu qu’on parle ensuite du dégoût né de la débauche et qu’on décrive les maladies qui la punissent ?

Messieurs, je crois avoir cité assez de passages pour affirmer qu’il y a eu offense à la morale publique. Ou le sens de la pudeur n’existe pas, ou la limite qu’elle impose a été audacieusement franchie.


La morale religieuse n’est pas plus respectée que la morale publique. Je signalerai sur ce second point : Le Reniement de saint Pierre, pièce 90, à la page 217 ; — Abel et Caïn, pièce 91, à la page 219 ; — Les Litanies de Satan, pièce 92, à la page 222 ; — Le Vin de l’Assassin, pièce 95, à la page 235.

Prendre parti pour le reniement contre Jésus, pour Caïn contre Abel, invoquer Satan à l’encontre des Saints, faire dire à l’assassin : Je m’en moque comme de Dieu, du Diable ou de la Sainte-Table, n’est-ce pas accumuler des débauches de langage qui justifient l’ordonnance du juge d’instruction ?

Oui : il a dû renvoyer Baudelaire devant les juges correctionnels pour offense à cette grande morale chrétienne qui est en réalité la seule base solide de nos mœurs publiques.

Pour justifier ce renvoi, pour amener ce débat public entre la prévention et la défense, les présomptions suffisaient et les présomptions y étaient. Mais, après les