ce jour, notamment par deux de mes savants maîtres, MM. Jules Quicherat et Vallet de Viriville 1.
A peine le bûcher de Rouen était-il éteint, que l’imagination populaire, vivement frappée par les exploits surnaturels de la victime, se donna carrière, et prépara, pour ainsi dire, le terrain aux supercheries. Les princes et les grands oubliaient déjà ; mais le peuple restait sous le charme, et, sans en avoir conscience, commençait à remplacer l’histoire par la légende. Une longue et douloureuse passion avait prématurément ravi à la France sa libératrice. La mission de Jeanne ne semblait pas entièrement remplie, car l’Anglais était encore là et gardait Paris : on attendait d’elle de nouveaux et suprêmes triomphes. Les circonstances rappelaient trop la vie et la mort de Jésus-Christ, pour que les esprits pieux n’espérassent point voir aller jusqu’au bout la similitude. Une résurrection était dans l’ordre des choses ; la moralité du dénouement paraissait l’exiger : nous verrons, en effet, que ce miracle fut raconté et cru sérieusement. Bien des gens, sous l’influence des mêmes regrets, du même désir, adoptèrent une version moins merveilleuse, celle d’une supposition de victime faite au moment du supplice. Une chronique tout à fait contemporaine mentionne les doutes répandus de bonne heure à ce sujet, et l’auteur (un Normand) s’abstient prudemment de se prononcer sur un point aussi controversé : « Finablement la firent ardre publiquement, ou aultre femme en semblable d’elle ; de quoy moult de gens ont été et encore sont de diverses oppinions 2. »
On sera peut-être tenté de croire que ces paroles avaient pour but d’atténuer l’effet du crime des Anglais en jetant l’incertitude sur sa consommation réelle. Mais non ; le chroniqueur est un partisan de Charles VII et un admirateur de la Pucelle, comme on peut s’en convaincre par la lecture du contexte. Ainsi, que la légende naissante fît de Jeanne une sainte ressuscitée ou une