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Page:Revue des questions historiques, Tome X, 1871.djvu/629

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doué du génie inventif, il semble que je saurais bien trouver, pour nos plus précieux Manuscrits et nos Chartes les plus anciennes, certains réceptacles à l’abri du feu. On se consume en efforts pour garantir l’or et le papier d’affaires ; est-ce que les monuments de notre histoire méritent moins de précautions minutieuses ? A l’œuvre donc, inventeurs, et que demain nous n’ayons plus à trembler pour notre Trésor des Chartes, pour nos Chansons de geste, pour nos Chroniques.

Mais je sais toutes les difficultés que présente une préservation matérielle : je n’ignore pas aussi combien elle serait coûteuse. Il convient donc de penser à d’autres moyens, plus efficaces. D’ailleurs les réceptacles « incombustibles » ne pourraient sauver qu’un petit nombre de documents, et il s’agit d’en sauver le plus possible. C’est le cas de faire un appel, un pressant appel, à tous les éditeurs de textes. Il me semble qu’en ce moment, et sans exagérer les dangers de l’avenir où je vois plus de bleu que de noir, tout conservateur de Bibliothèque et d’Archives devrait copier et faire copier les documents les plus importants de son dépôt. Pour un grand nombre d’autres, de bonnes et substantielles analyses seraient de nature à nous consoler un peu de la perte possible des originaux. Les archivistes des départements ont là un noble devoir à remplir : ils sauront aller au delà. Nous les remercions par avance de tous les titres qu’ils vont sauver : la France leur devra peut-être une partie de son histoire nationale.

Il est un autre mode de conservation plus difficile, plus coûteux, mais que l’on pourrait appliquer à une certaine classe de documents ; je veux parler de la reproduction des autographes les plus précieux par la photographie, la lithographie et la gravure. Pour certaines pièces on ne saurait, en effet, se passer de la vue matérielle du document. Imaginez un instant que nos dépôts soient consumés par un incendie soit prémédité, soit fortuit : pensez-vous qu’il serait dès lors très-facile de composer par exemple une « Histoire de l’écriture en France, » un « Cours raisonné de paléographie ? » Et ce n’est là, certes, que le plus petit point de vue. Pour bien juger un homme il est utile de connaître son écriture, et les autographes jettent vraiment de la lumière sur certains coins obscurs de notre histoire. Faisons donc des fac-simile, et faisons-en le plus possible.

Mais surtout faisons bien entendre à tous, en des brochures courtes, vives et populaires, que ces trésors de l’histoire sont sacrés pour tous. Il y a parmi nous toute une classe sociale qui se regarde comme opprimée depuis mille et quinze cents ans. Eh bien ! les preuves de cette oppression, si elle a réellement existé, sont dans les Archives et les Bibliothèques. Ce ne sont pas les titres de la noblesse qu’on y détruirait, mais ceux du peuple. Puisque d’ailleurs ils sont les partisans de l’instruction, même obligatoire, ils doivent respecter ces sanctuaires de la science. Et ici je me rappelle un dessin charmant de Cham, représentant un homme du peuple au milieu des incendies de la Commune : « Tiens, dit-il, c’est à Versailles qu’ils en veulent, et c’est Paris qu’ils brûlent ! »