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le désordre affreux qui s’est introduit dans le classement des travailleurs, dans la distribution des travaux, dans la répartition des produits.

Passons aux villes de second ordre.

Le docteur Guépin a écrit dans un petit almanach, indigne, je suppose, de tenir sa place dans la bibliothèque de nos hommes d’état, les lignes suivantes :


« Nantes étant un terme moyen entre les villes de grand commerce et de grande industrie, telles que Lyon, Paris, Marseille, Bordeaux, et les places de troisième ordre, les habitudes des ouvriers y étant meilleures peut-être que partout ailleurs, nous ne croyons pouvoir mieux choisir pour mettre en évidence les résultats auxquels nous devons arriver, et leur donner un caractère de certitude absolue.

À moins d’avoir étouffé tout sentiment de justice, il n’est personne qui n’ait dû être affligé en voyant l’énorme disproportion qui existe, chez les ouvriers pauvres, entre les joies et les peines ; vivre pour eux, c’est uniquement ne pas mourir. — Au delà du morceau de pain. dont il a besoin pour lui et pour sa famille, au delà de la bouteille de vin qui doit lui ôter un instant la conscience de ses douleurs, l’ouvrier ne voit plus rien et n’aspire à rien. — Si vous voulez savoir comment il se loge , entrez dans une de ces rues où il se trouve parqué par la misère, comme les juifs l’étaient au moyen-âge par les préjugés populaires dans les quartiers qui leur étaient assignés. — Entrez en baissant la tête dans un de ces cloaques ouverts sur la rue et situés au dessous de son niveau : l’air y est froid et humide comme dans une cave ; les pieds glissent sur le sol malpropre, et l’on craint de tomber dans la fange. De chaque côté de l’allée qui est en pente et par suite au dessous du sol, il y a une chambre sombre, grande, glacée, dont les murs suintent une eau sale, et qui ne reçoit l’aie que par une méchante fenêtre trop petite pour donner passage à la lumière, et trop mauvaise pour bien clore ; poussez la porte et entrez plus avant, si l’air fétide ne vous fait pas reculer ; mais prenez garde, car le sol inégal n’est ni pavé, ni carrelé ; ou au moins les carreaux sont recouverts d’une si grande épaisseur de crasse, qu’il est impossible de les voir. Ici deux ou trois lits racommodés avec de la ficelle qui n’a pas bien résisté : ils sont vermoulus et penchés sur leurs supports ; une paillasse, une couverture formée de lambeaux frangés, rarement lavée parce qu’elle est seule quelquefois, des draps et un oreiller : voilà le dedans du lit. Quant aux armoires, on n’en a pas besoin dans ces maisons. Souvent un rouet et un métier de tisserand complètent l’ameublement.