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la misère, d’où naît la misère ? On vient de le voir. La concurrence est donc aussi fatale à la sécurité du riche qu’à l’existence du pauvre. Tyrannie infatigable pour celui-ci, elle est pour celui-là une perpétuelle menace. Savez-vous d’où sortent la plupart des malheureux que la prison réclame ? De quelque grand centre d’industrie. Les départements manufacturiers fournissent aux cours d’assises un nombre d’accusés double de celui que présentent les départements agricoles. La statistique sur ce point donne des arguments sans réplique. Or, que penser de l’organisation actuelle du travail, des conditions qui lui sont faites, des lois qui le régissent, si le bagne se recrute dans l’atelier ? Qu’on pèse, au nom du ciel ! ces effroyables paroles de M. Moreau Christophe. « Au point où nous en sommes, le vol du pauvre sur le riche n’est plus qu’une réparation, c’est-à-dire le déplacement juste et réciproque d’une pièce de monnaie ou d’un morceau de pain, qui retourne des mains du voleur dans les mains du volé. Tu es maître de mon argent, moi de ta vie, dit Jean Sbogar. Cela n’appartient ni à toi ni à mot : rends et je laisse. » Imaginez après cela quelque beau système pénitentiaire, ô philanthropes ! Quand vous aurez fait de la peine un moyen d’éducation pour le criminel, la misère, qui l’attend au sortir de vos prisons, l’y repoussera sans pitié. On a calculé que, dans le pénitencier de New-York, les récidives étaient de un sur deux libérés. Médecins clairvoyants, laissez, croyez-moi, ce pestiféré dans son hôpital : en le rendant à la liberté, vous le restituez à la peste. Et puis, le moyen de guérir le criminel en prison ? Le contact du scélérat incorrigible est mortel pour celui qui serait susceptible de guérison, le vice ayant son point d’honneur comme la vertu. Aura-t-on recours à l’isolement ? Que d’expériences malheureuses. Sur onze individus condamnés à l’emprisonnement solitaire dans la prison d’état du Maine, cinq tombent malades, deux se suicident, les autres deviennent hébétés : voilà la moralité de l’isolement ; qu’on interroge la statistique. Mais à quoi bon nier l’efficacité d’un remède si ardemment étudié ! Tenons-la un instant pour incontestable. Le régime de vos prisons vaudra donc mieux que celui de vos ateliers ! Il y aura donc prime pour le vol ! La société disant au pauvre : « Attaque-moi, si tu veux que je te témoigne quelque sollicitude. » Cela paraît bouffon, n’est-ce pas ? Eh bien, c’est pourtant l’inévitable conséquence d’un régime industriel où toute fabrique devient école de corruption.

Autre conséquence funeste. De l’individualisme, ai-je dit, sort la concurrence ; de la concurrence, la mobilité des salaires, leur insuffisance… Arrivés à ce point, ce que nous trouvons, c’est la dissolution de la famille. Tout mariage est un accroissement de charges : Pourquoi la pauvreté s’accouplerait-elle avec la pauvreté ? Voilà donc la famille faisant place au concubinage. Des enfants naissent au pauvre : comment les nourrir ? De là tant de malheureuses créatures trouvées mortes au