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coin des bornes, sur les marches de quelques églises solitaires, et jusque sous le péristyle du palais où se font les lois. Et pour que nul doute ne nous reste sur la cause des infanticides, la statistique vient encore ici nous apprendre que le chiffre d’infanticides fourni par nos 14 départements les plus industriels est à celui fourni par la France entière dans le rapport de 41 à 121[1]. Toujours les plus grands maux là où l’industrie a choisi son théâtre. Il a bien fallu que l’État en vînt à dire à toute mère indigente : « Je me charge de vos enfants. J’ouvre des hospices. « C’était trop peu. Il fallait aller plus loin et faire disparaître les obstacles qui auraient pu frapper le système d’impuissance. Les tours sont établis ; le bénéfice du mystère est accordé à la maternité qui s’abdique ; mais qui donc arrêtera les progrès du concubinage, maintenant que les séductions du plaisir sont dégagées de la crainte des charges qu’il impose ? C’est ce qu’ont crié aussitôt les moralistes. Puis sont venus les calculateurs sans entrailles, et leur plainte a été plus vive encore. « Supprimez les tours, supprimez les tours, ou bien attendez-vous à voir le chiffre des enfants trouvés grossir de telle sorte que tous nos budgets réunis n’y suffiront pas. » De fait, la progression en France a été remarquable depuis l’établissement des tours. Au 1er janvier 1784, le nombre des enfants trouvés était de 40,000 ; il était de 402, 103 en 1820 ; de 122,981 en 1831 : il est à peu près aujourd’hui de 130,000[2]. Le rapport des enfants trouvés à la population a presque triplé dans l’espace de quarante ans. Quelle borne poser à cette grande invasion de la misère ? Et comment échapperez-vous, Messieurs, au fardeau toujours croissant des centimes additionnels ? Je sais bien que les chances de mortalité sont grandes dans les ateliers de la charité moderne ; je sais bien que, parmi ces enfants dévoués à la publique bienfaisance, il en est beaucoup que tue, au sortir du taudis natal, l’air vif de la rue ou l’épaisse atmosphère de l’hospice ; je sais qu’il en est d’autres qu’une nourriture avare consume lentement, car sur les 9,727 nourrices des enfants trouvés de Paris, 6,264 seulement ont une vache ou une chèvre ; je sais enfin qu’il en est qui, réunis chez la même nourrice, meurent du lait que leurs compagnons, nés de la débauche, ont empoisonné[3]. Eh bien ! cette mortalité même ne constitue pas hélas ! une économie suffisante. Et, puisqu’il s’agit de centimes additionnels et de chiffres, les dépenses, de 1815 à 1831, se sont élevées : dans la Charente, de 45,232 fr. à 92,454 ; — dans les Landes, de 38,881 à 74,553 ; — dans le Lot-et-Garonne, de 66,579 à 116,986 fr. ; — Dans la Loire, de 50,079 à 83,492 fr. — Ainsi du reste de la France.

  1. Voir la statistique publiée par le Constitutionnel du 13 juillet 1840.
  2. Voir les ouvrages de MM. Huerne de Pommeuse, Duchâtel, Benoiston de Châteauneuf.
  3. Philosophie du budget, par M. Edelestand Duméril.