Page:Revue générale de l'architecture et des travaux publics, V4, 1843.djvu/148

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assise elle-même sur un sol rapporté depuis peu d’années. Aussi combien voit-on de ces sépultures, élevées depuis quinze ou vingt ans à peine, tomber en ruines ! Si du moins le dernier cercueil qu’a pu renfermer le caveau était toujours placé à 20 ou 30 centimètres au-dessous du sol et recouvert d’une couche de sable ou de terre, la chute de la construction supérieure ne les mettrait pas à découvert comme cela s’est vu quelquefois. Mais, au contraire, souvent le dernier cercueil se trouve placé tout entier au-dessus du sol environnant et recouvert d’une simple dalle de 4 à 5 centimètres d’épaisseur, posée entre des cloisons en pierres disjointes ; aussi, quand on passe près des tombes de ce genre, est-on saisi de l’odeur pestilentielle qui s’en exhale. La solidité, selon nous, devrait toujours accompagner la magnificence et même la remplacer au besoin ; car que deviendront ces constructions si frêles quand les familles ne seront plus là pour les entretenir ?

Le peu de soin qu’on apporte, surtout à Paris, dans la fermeture de la dernière case d’un caveau sépulcral, est une chose digne de remarque ; cette négligence est-elle le résultat d’une indifférence irréfléchie, ou bien est-ce un hommage rendu tacitement à la civilisation moderne ? Nous ne chercherons pas à résoudre cette question. Les Romains, maîtres de la terre, quoique recueillant avec un respect religieux les cendres de leurs morts, ne paraissent pas, en général, s’être sérieusement occupés de rendre leurs sépultures inviolables. Si la dépouille mortelle du pauvre était obscurément jetée dans les excavations du sestertium ou des arenariœ, les familles riches plaçaient généralement leurs sépultures, plus ou moins somptueuses, en évidence sur les bords des voies publiques, dans le voisinage des cités. Faut-il attribuer cette sécurité aux croyances religieuses de ce peuple conquérant, ou bien à l’assurance que lui donnaient ses armes toujours victorieuses, de voir sa patrie pour jamais à l’abri de toute invasion de Barbares ?

Contentons-nous de donner à nos sépultures une solidité raisonnable, et de mettre nos morts à l’abri des intempéries de l’air et des regards des hommes, en les plaçant au-dessous du sol et en les couvrant convenablement. Il serait insensé de prétendre à une inviolabilité absolue, quand on sait ce que sont devenus les tombeaux de Memphis, de Thèbes, de Petra, de Persépolis, de Rome et de tant d’autres villes fameuses. Quelles tombes, ayant plus de trois ou quatre siècles d’existence, ont pu se dérober à la cupidité des Barbares ou à la curiosité des savants ? Celles-là seules que le hasard a pu cacher non-seulement aux yeux, mais à la pensée même des hommes. L’inexorable fatalité qui se joue si souvent des plus sublimes prévisions humaines n’a-t-elle pas dispersé les cendres des enfants de la terre des Pharaons eux-mêmes ? Les soins minutieux qu’ils mirent à la préparation des restes mortels de leurs parents ou de leurs amis pour les préserver à jamais de l’action dissolvante des éléments, en attendant leur retour à une vie nouvelle, furent précisément la principale cause de leur destruction et de leur dispersion par la main des hommes. C’est en vain qu’ils voulurent garantir ces précieux restes de toute violation en les renfermant dans des constructions cachées ou indestructibles, la main des hommes a su ouvrir ou briser les tombes les plus inextricables et les plus solides, même avant l’usage de la poudre, cette foudre humaine, ce levier sans bornes de la destruction. Et, au jour suprême, les momies des adorateurs d’Osiris, au lieu de surgir innombrables et radieuses du sein des vastes nécropoles ou des orgueilleux tombeaux de la chaîne libyque, se réveilleront sur la terre étrangère, rares, isolées, stupéfaites, au milieu des musées et des cabinets de curiosités de l’Europe.

Aujourd’hui, l’histoire et l’archéologie ont classé par dates, dans leurs archives, tous les monuments funèbres du passé. Là, ils existeront encore lors même qu’ils auront disparu de la surface de la terre. Sans doute il eût été intéressant de décrire et d’interroger tour à tour les sépultures de toutes les nations de l’antiquité et du Moyen-Age ; mais ce sujet fécond eût pu nous entraîner trop loin et prendre une place exorbitante dans les colonnes de la Revue.

L’établissement des cimetières communs, chez les chrétiens, doit son origine aux premières sépultures des martyrs dans les catacombes de Rome. (Chaque fidèle tint à être inhumé près de ces saints personnages[1]. Ces catacombes, qui ne furent d’abord que de simples galeries souterraines, furent creusées au hasard sous la campagne de Rome, pour extraire la pouzzolane, employée de toute antiquité à la confection des mortiers. Elles forment d’immenses et nombreux labyrinthes, connus des anciens sous le nom d’arenariœ.

Ces souterrains, dont une partie était abandonnée depuis longtemps sans doute, n’ont jamais pu offrir une retraite bien sûre pour les premiers chrétiens dans les temps de persécution, comme plusieurs auteurs l’ont prétendu ; mais on y enterra d’abord clandestinement les corps des martyrs ; puis, bientôt, tous les coreligionnaires voulurent aussi y être inhumés, et c’est ainsi que se peuplèrent de tombeaux presque toutes ces vastes excavations.

La pouzzolane étant d’une nature assez ferme, on tailla, dans les parois latérales des galeries et des chambres (cubicula), des trous rectangulaires au-dessus les uns des autres et suffisamment grands pour recevoir les morts. L’ouverture était close ensuite avec des dalles de pierre, de marbre ou de terre cuite, scellées hermétiquement avec du mortier.

À considérer la manière dont les cadavres étaient disposés, sans autre enveloppe solide que les parois de l’excavation et l’opercule en pierre, ou le plus souvent en terre cuite, qui la fermait, on se demande comment les gaz produits par la putréfaction des corps ne se répandaient pas dans ces galeries privées d’air, au point d’en rendre le séjour inabordable et mortel aux vivants. On peut attribuer ce phénomène à la propriété absorbante de la pouzzolane, qui s’emparait des parties humides des corps avant le dégagement des gaz. La fermentation était, du reste, ralentie ou neutralisée par la température peu élevée de ces souterrains ; mais comment n’y a-t-on pas trouvé de momies sèches ?

On donna à quelques-unes de ces chambres une forme régulière et de certaines dimensions, surtout à celles qui étaient destinées à la célébration de l’office divin et des agapes ou repas funèbres. La voûte prit quelquefois une forme pyramidale, conique ou sphérique. Cette voûte, appelée ciborium, se couvrit souvent de stucs et de peintures assez grossièrement exécutées, formant divers compartiments ornés d’arabesques et de sujets bibliques ou évangéliques, d’agapes ou repas funèbres, le tout

  1. Raoul Rochette. Tableau des Catacombes de Rome, page 43, ou lettre circulaire de Smyrne, collection des pièces apostoliques de Coutellier, tome 11, page 200, Anvers, 1698.