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A son point de vue, l’auteur que nous venons de citer a très bien caractérisé la situation ; les nouvelles qu’il recevait reflètent les convictions de la maison de Champagne, qui, par la prépondérance des barons de l’est, se voyait perdre la position acquise sous Louis VII. Les chefs du parti champenois étaient les frères souvent nommés : Guillaume, Thibaut, Etienne et leur sœur Adèle ; de proches parents, tels que le duc Hugues III de Bourgogne et le comte Henri de Bar-le-Duc, se seront joints à eux. Ils ne voulaient pas souffrir patiemment que leur rival disposât à son gré du royaume[1] . Mais ils ne se croyaient pas capables de lui résister seuls et s’efforcèrent de le brouiller avec le roi d’Angleterre.

A maintes reprises, des messagers passèrent le détroit pour exhorter Henri II à leur prêter son conseil et son aide « contre les machinations iniques du comte, machinées à leur propre détriment et à celui de tout le royaume de France. » Ces machinations du comte Philippe, ce sont en première ligne ses démarches ayant pour but le mariage d’Isabelle.

Les discordes intestines des Français seules élevaient Henri II à une position dominante que jamais auparavant il n’avait occupée dans leur pays. Autrefois, les comtes Philippe et Thibaut avaient soutenu ensemble la rébellion de son fils[2] ; maintenant Thibaut le suppliait de l’aider contre Philippe. On désirait qu’il délivrât la royauté de la tutelle indigne que lui imposait un vassal trop puissant, qu’il rendît, vassal lui-même, son jeune suzerain à l’influence de ses plus proches parents.

Henri II avait peu envie de répondre à l’appel pressant des Champenois. Mais, pendant qu’il continuait à observer les affaires d’Allemagne, il dut être effrayé par les mesures violentes de Philippe-Auguste contre les juifs. Dans toute la France, le vendredi 18 janvier, au commencement du sabbat, ils furent emprisonnés, sur l’ordre du roi, jusqu’à ce qu’ils eussent racheté leur liberté par le paiement d’une somme d’argent très considérable[3]. Ce pre-

  1. Giraud de Barri mentionne la haine invétérée des Flamands contre les habitants de Blois. De instr. princ, III, 2, p. 228.
  2. Stubbs, The early Plantagenets, chap. v.
  3. Je suis Raoul de Dicet, II, p. 4, auteur bien informé et contemporain. Voir Rigord, § 6. Je m’abstiens de commenter la politique de Philippe-Auguste vis-à-vis des juifs, parce qu’on ne saurait la comprendre sans celle de Louis VII. Mais je ne puis dépasser le cadre de cet article, quoique j’aie déjà rassemblé quelques matériaux.