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mariage du roi, consommé sur les terres d’un vassal, parut être le résultat d’odieuses intrigues de parti et indigne de la couronne, et souleva un mécontentement presque général. Les présages heureux que Raoul de Dicet tire d’une interprétation plus qu’artificielle des noms de Tronc et de Bapaume ne sont probablement que de savantes réminiscences de ses années d’études et ne rendent pas fidèlement le sentiment du peuple. Cependant, même ici, on ne saurait perdre de vue la partialité des renseignements provenant de source anglo-champenoise. Si l’on critiquait que Philippe-Auguste eût choisi une reine de si humble origine, il est possible que ce ne fut là qu’un racontar d’envieux[1]. Mais comment nier, en effet, que le Hainaut ne fût alors un pays peu connu, exclu des grandes combinaisons politiques, dont le comte ne pouvait prétendre à la même autorité que le comte de Flandre ? Si l’on y regarde de plus près, cette appréciation peu favorable aux Hennuyers trouve un appui dans les institutions de l’empire germanique. Frédéric Barberousse s’efforçait depuis la moitié du siècle d’englober les princes ecclésiastiques dans la hiérarchie féodale ; de cette façon, leurs vassaux devenaient arrière-vassaux de l’empire parce qu’ils ne remplissaient pas la condition, requise des nouveaux princes de l’empire, d’avoir reçu un fief à drapeau de la main de l’empereur[2]. Or, Baudouin était vassal de l’évêque de Liège et n’obtint la dignité de prince de l’empire qu’il briguait qu’en 1188, par l’acquisition du marquisat de Namur, tandis que les ducs de Bourgogne et de Brabant, les comtes de Flandre et de Gueldre et le comte palatin de Troyes la possédaient déjà[3].

Quoi qu’il en ait été, tous ces bruits qui rabaissaient la maison de Hainaut auront sans doute vivement froissé la susceptibilité de Philippe-Auguste[4], mais il ne pensait pas à s’éloigner du

  1. « Suorum avunculorum omniumque fere nobilium Franciae indignationem incurrit, eo scilicet quod, suorum spreto consilio, comiti Flandriae soli credebat, et quod per ipsius consilium uxorem de tam humili progenie associare voluerit in reginam. » — Gervais de Caat., I, p. 294. Voir la « carta de matrimonio » dans notre appendice III.
  2. Schrœder, Rechtsgeschichte, p. 477 et 478.
  3. Voir Gilbert, p. 94 et 180, sur les liens féodaux de Baudouin.
  4. Je crois que ce n’est que longtemps après le mariage d’Isabelle, probablement pour honorer son fils Louis VIII, que d’adroits courtisans se sont avisés de ce qu’elle descendait des Carolingiens, comme du reste Philippe II lui-même, du côté de sa mère. Voir les Gesta Ludovici VIII, Rec., XVII, p. 302 B.