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Page:Revue historique - 1898 - tome 67.djvu/74

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possibilité d’appliquer la Marktrechtstheorie aux constitutions municipales de la Flandre ? Dans ce pays essentiellement urbain, on voit avec une netteté parfaite les villes naître dans les endroits vers lesquels se dirige naturellement le commerce. Elles sont, dans toute la force du terme, des colonies de marchands.

Est-il possible, toutefois, qu’il ait existé au haut moyen âge des colonies de marchands ? D’après une des principales autorités de ce temps en matière d’histoire économique, M. K. Bücher, on ne peut admettre, avant la période moderne, l’existence d’une classe d’hommes vivant exclusivement de vente et d’achat, c’est-à-dire d’une classe de marchands proprement dits[1]. Suivant lui, il n’y a pas eu alors de marchands de profession. Chacun est marchand en tant qu’il fréquente le marché local, mais cette fréquentation du marché pour chacun est passagère et intermittente. Le mot mercator désigne des vendeurs et des acheteurs, non des marchands dans le sens actuel et technique du mot, et c’est une erreur complète que de voir dans les premières bourgeoisies du moyen âge des groupes de commerçants.

Cette affirmation de M. Bücher me paraît trop absolue. Elle s’explique, je pense, si l’on songe que les recherches si neuves et si pénétrantes de l’éminent érudit ont porté surtout sur des villes de second ordre, et particulièrement sur Francfort[2]. Jusqu’au xve siècle, Francfort n’a été, en effet, qu’une localité à demi agricole, où la bourgeoisie s’adonnait encore en grande partie à la culture du sol et à l’élevage du bétail. Mais ce n’est pas aux villes de second ordre qu’il faut demander le secret des origines de la vie urbaine. Il importe, au contraire, et il importe au plus haut point, d’étudier celle-ci à ses sources mêmes, c’est-à-dire dans les grandes cités mercantiles. Et, dès lors, il me paraît impossible de ne pas découvrir que c’est au commerce et aux marchands de profession que ces dernières doivent l’existence. Les textes nous montrent qu’elles renferment en grand nombre, dès le xie siècle, des commerçants vivant exclusivement de leur profession. Il me suffira de signaler ici quelques textes qui ne peuvent laisser aucun doute sur ce point. En 1096, une charte mentionne à Dinant ceux « qui de mercimoniis suis vivunt cujuscumque officii[3]. » Un peu plus tard, les Gesta episcoporum Cameracensium racontent avec le plus grand détail l’histoire d’un marchand qui, simple serviteur d’un autre marchand à l’origine, parvint en quelques années

  1. K. Bücher, Die Entstehung der Volkswirthschaft, 2e éd., p. 90.
  2. Le beau livre de M. Bücher, Die Bevölkerung von Frankfurt am Main (Tübingen, 1886), encore trop inconnu hors d’Allemagne, a créé la méthode d’interprétation des documents relatifs à la statistique du moyen âge.
  3. Stan. Bormans, Cartulaire de Dinant, I, p. 13.