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à amasser une énorme fortune[1]. Que sont d’ailleurs en Flandre les membres de la hanse de Londres, sinon de purs marchands ? Qu’est-ce que le praedives mercator, qui suscita en 1078, une émeute contre l’archevêque de Cologne[2], et comment comprendre que la révolution communale de Cambrai ait été provoquée par les mercatores[3], si l’on se refuse à considérer ceux-ci comme formant, au milieu de la population urbaine, un groupe social parfaitement distinct ? Sans doute tous ces marchands ne sont pas de grands négociants. On trouve parmi eux les conditions les plus diverses. Il s’y rencontre, à côté de propriétaires de barques et de chevaux qui passent la plus grande partie de l’année en lointains voyages, de modestes artisans vendant super fenestras[4] le produit de leur travail. Je sais bien qu’ici se dresse une nouvelle objection. M. Bücher soutient, en effet, qu’au début de la période industrielle du moyen âge l’artisan était un simple ouvrier mettant en œuvre la matière première que ses clients lui confiaient. Je veux bien qu’il en ait été ainsi pour toute une série de métiers. Tout le monde sait, par exemple, que pendant très longtemps les tisserands n’eurent pas le droit d’acquérir de la laine pour leur propre compte : ils se bornaient à travailler la laine que les drapiers leur remettaient. Les tailleurs, les savetiers, les charpentiers se trouvaient fort probablement dans une situation analogue. Mais il convient, ce semble, de ne pas généraliser outre mesure un état de choses qui n’a pu se rencontrer dans toutes les branches d’industrie. Il me paraît bien difficile d’admettre que le potier ou le forgeron aient reçu des mains de leurs pratiques l’étain ou le fer qu’ils travaillaient. D’ailleurs, ici encore, les documents nous attestent l’existence d’artisans vendant directement au public les objets fabriqués par eux au moyen de matières premières qui leur appartiennent. Il faut bien

  1. De Smet, Gestes des évêques de Cambrai, p. 122 et suiv. Cf. encore Miracula S. Rictrudis (comm. du xiie siècle) dans les Acta Sanctor. Boll., mai, t. III, p. 111 : « Gandavi burgensis erat quidam, qui negotiationi deditus, navigatio Duacum frequenter ire consueverat, ferns et referens unde accresseret ei multiplex rerum opulentia. »
  2. Lamperti Hersfeldensis opera, éd. O. Older-Egger, p. 186. Ce sont bien des marchands de profession que ces hommes dont parle Lambert, Ibid., p. 187 : « Ab ineunte actate inter urbanas delicias educati… quique post venditas merces inter vina et epulas de re militari disputare soliti. » Alpert, au xie s., distingue très bien les mœurs spéciales des marchands « quibus… al aliis vicis (pour vicinis) differant » (Liesegang, Niederrheinisches Städtewesen, p. 576, note 1).
  3. Un des chefs révoltés est Wibertus « mercator per multas terras cognitus » (Gesta episcop. Camerac. Mon. Germ. Hist. Script., t. VII, p. 498).
  4. Sur le sens de cette expression, voy. Fagniez, Études sur l’industrie et la classe industrielle à Paris, p. 49, 109.