Page:Revue historique - 1898 - tome 67.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

croire, par exemple, que les boulangers, qui dès le milieu du xie siècle exposent du pain en vente super fenestras[1], ont acheté eux-mêmes le blé qui a servi à confectionner ce pain. Je me bornerai à signaler ce seul fait, M. von Below ayant réuni dans des articles récents un grand nombre de témoignages analogues en présence desquels on est forcé d’admettre, me semble-t-il, qu’une partie au moins des artisans du moyen âge doit être rangée au nombre des mercatores[2].

C’est donc à ce groupe de mercatores formé de marchands proprement dits et d’artisans que les auteurs les plus récents s’accordent à attribuer le rôle essentiel dans l’histoire de la formation des villes. Entre lui et les autres classes de la population urbaine existe une différence essentielle. Tandis, en effet, que ces dernières, formées de milites, de ministeriales, de censuales, sont fixées depuis très longtemps dans les civitates et les castella qui constituent les villes de la période agricole du moyen âge, les marchands nous apparaissent comme des immigrants étrangers. Ils viennent du dehors : ce sont des advene, des coloni. Ainsi, à parti du xie siècle, une population nouvelle et commerçante vient se juxtaposer à une population ancienne et domaniale et, par un renversement complet de la situation antérieure, l’élément le plus jeune finit par l’emporter sur l’élément le plus vieux. Le faubourg commercial réussit à absorber le vieille ville et à lui donner son droit et ses institutions. Celle-ci, il est vrai, s’est défendue. Là où elle possédait une organisation solide et complète, comme dans les villes épiscopales, elle a cherché à soumettre à cette organisation les nouveaux habitants. Mais partout la lutte a tourné, à la longue, à l’avantage de ceux-ci. Le temps travaillait pour les marchands. Le droit domanial ne pouvait l’emporter à une époque où la vie industrielle et commerciale se substituait à la vie agricole. M. von Below a montré parfaitement comment le Hofrecht a été vaincu partout, et sa démonstration est irréfutable. Il était aussi impossible d’imposer aux marchands un droit fait pour une société essentiellement rurale, qu’il le fut au viiie et au ixe siècle de maintenir, en face de la féodalité rendue nécessaire par la substitution du grand domaine à la petite propriété libre, la constitution populaire des premiers temps de l’époque franque.

  1. Waitz, Urkunden zur Deutschen Verfassungsgeschichte, p. 22. Cf. Flach, Les origines de l’ancienne France, t. II, p. 369, note 3. Il est question dans ce passage d’un « advena… quem natura inopem protulerat sed manus arte docta mechanica locupletem effecerat. »
  2. Zeitschrift für Social— und Wirthschaftsgeschichte, t. V, p. 138 et suiv. Cf. Rietschel, op. cit., p. 56, note.