Page:Revue internationale, 3è année, tome IX, 1885.djvu/176

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puisque les anciennes chroniques et les analogies qui existent entre les peuples arriérés semblent prouver que tout événement digne de souvenir a toujours été « chanté » chez les communautés primitives. Une des raisons de cet usage il faut la chercher dans la nature même de la poésie qui passait pour être la forme la plus noble de l’expression. On peut en trouver une seconde dans le fait que les paroles rimées sont plus faciles à retenir que la simple prose. « Je ne sais pas lire, a dit de nos jours un chanteur populaire de la Grèce ; aussi ai-je fait une chanson de cette histoire pour ne pas l’oublier. » La poésie populaire est comme le reflet momentané de puissantes émotions personnelles ou collectives. Les sources de la légende et de la poésie jaillissent du plus profond de l’âme des nations, et le cœur même d’un peuple est rais à découvert par ses chansons. Il y a eu des époques où le sentiment profond de la race et du patriotisme a suffi pour changer une nation entière en un peuple de poètes. Il en fut ainsi lors de l’expulsion des Maures de l’Espagne, au temps des luttes pour les Stuarts en Écosse et à l’époque des héros qui combattaient pour l’indépendance de la Grèce. Selon toute probabilité les chansons épiques populaires doivent toutes leur origine à un même sentiment d’exaltation qui faisait vibrer les âmes à l’unisson.

Un adage bien connu affirme que, si l’on était libre de composer toutes les ballades, on n’aurait pas à s’inquiéter de qui pourrait faire les lois. L’affirmation, quoique juste, ne peut être acceptée qu’avec des réserves, attendu que le compositeur de ballades n’exerce son pouvoir qu’aussi longtemps qu’il est l’interprète sincère de la volonté populaire. On peut imposer des lois aux récalcitrants, mais non pas des chansons.

Les frères Grimm ont dit qu’ils n’avaient pas trouvé un seul mensonge dans les poésies populaires. « La valeur particulière de ce que nous nommons chansons et ballades nationales, écrit Gœthe, consiste en ce que l’inspiration émane directement de la nature ; ces chants ne sont jamais fabriqués, mais jaillissent d’une source très pure. » Et à ce même propos il ajoute une observation qui ne peut manquer de frapper quiconque se trouve en rapport avec des paysans primitifs. « L’homme tel que l’a fait la nature, dit le poète allemand, aura toujours à sa disposition des expressions d’une portée bien plus directe et bien plus efficace que celles de l’individu enrichi par une culture littéraire complète. »

Les bardes chantaient les louanges des chefs et des héros, et