Page:Revue internationale, 3è année, tome IX, 1885.djvu/177

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l’on peut en inférer que l’usage d’avoir des poètes attachés à leurs personnes fut généralement adopté par les chefs dès le commencement des luttes entre les races et les tribus.

Robert Wace raconte comment Guillaume-le-Conquérant était suivi par Taillefer, qui

Monté sur un coursier rapide,
Précédait le gros de l’armée,
Chantant de Roland, de Charlemagne,
D’Olivier et des braves vassaux
Qui périrent au passage de Roncevaux.

Les « Skalds » du Nord accompagnaient les armées à la guerre et assistaient à tous les combats. « Vous serez là, dit le roi Olaf à ses « Skalds » la veille de la bataille de Stiklastad (1030), pour voir de vos propres yeux les hauts faits de cette journée et afin que plus tard, lorsque vous aurez à les célébrer dans vos chants, vous n’ayez point à dépendre des récits d’autrui. »

Dans ce même combat un « Skald, » nommé Hormod, mourut glorieusement frappé d’une flèche pendant qu’il chantait.

Ces poètes atteignirent un but autrement élevé que celui d’une simple commémoration des différents chefs ; ils furent les véritables historiens de leur époque. Arrivée à son apogée, cette profession devint l’objet de la considération générale et compta des rois parmi ses adeptes. Son déclin commença à l’apparition des chroniques écrites. Peu à peu le barde disparut et il ne resta plus que le trouvère. Ce personnage, bien que dépourvu de la dignité des bardes, réussit néanmoins à maintenir sa position avec succès. En Provence et en Allemagne les ménestrels errants qui chantaient moyennant rétribution, n’étaient inférieurs qu’aux troubadours et aux minnesingers ; en Angleterre, en Italie et dans le nord de la France ils formaient une classe à part, fort estimée par rapport à leur époque et assez largement rétribuée.

À défaut d’auditoire choisi, le ménestrel chantait dans les foires rustiques du haut d’un tonneau emprunté à l’hôtellerie la plus voisine, ou perché sur une charrette. Mais sa sphère préférée était la salle seigneuriale ; et pour arriver à comprendre à quel point il y était le bienvenu, on n’a qu’à se figurer la vie à la campagne à une époque où les livres étaient rares et les journaux inconnus. Il chantait à la présence de belles dames et de nobles chevaliers, dont les manières, le langage et les habitudes nous sembleraient