Page:Revue internationale, 3è année, tome IX, 1885.djvu/224

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forma les représentations des Mystères, élargit le programme des fêtes traditionnelles et porta les réjouissances du carnaval à un point de splendeur inconnu avant lui.

Le Mystère fit son apparition en Italie en 1258, sous le nom de Laudes, Devozioni ou Rappresentazioni que jouaient les membres de la secte des flagellants. On ignore la date précise de l’introduction à Florence de cette forme rudimentaire et barbare de la poésie dramatique qui s’y dépouilla vite des entr’actes flagellatoires, sous l’influence de la bonne humeur des habitants. Les programmes religieux même s’adressèrent moins à la piété des fidèles qu’à leur gaieté. Très amusant celui que nous a conservé Villani de la représentation qui occasionna l’accident de 1304 : « Que tous ceux qui veulent avoir des nouvelles de l’autre monde se rendent le jour des calendes de mai au ponte alla Carraia. » Les diables cornus firent rire ; la chute du pont fit pleurer.

La Rappresentazione s’affina de plus en plus sous l’influence notamment de la réédition des pièces antiques. Avant 1483, Politien avait fait jouer son Orphée, avec un enfer païen. En 1488, on représentait les Mènechmes à Florence. La Rappresentazione était devenue un genre littéraire et artistique dont les Florentins se faisaient honneur devant leurs hôtes illustres. Mentionnons à ce propos et comme pendant à la catastrophe du ponte alla Carraia, celle de l’église Santo-Spirito qui prit feu (1471) pendant une représentation donnée par la commune, de moitié avec Laurent-le-Magnifique, au duc de Milan, Galéas Sforza.

De tous les auteurs dramatiques de son temps, Laurent fut celui qui, conservant à la Rappresentazione sa première inspiration chrétienne, lui donna la forme la plus artistique. La Rappresentazione di San Giovanni e Paolo qu’il présenta au public en 1489[1] laisse certes beaucoup à désirer au point de vue de la passion dramatique et de la règle des unités ; les personnages manquent de vie réelle et se meuvent continuellement dans l’abstraction. Dieu sert de ficelle tout le temps.

« Silence ! disait l’annunziazione de la pièce. Restez tranquilles, surtout pendant qu’on chante ; nous avons la fatigue et vous le plaisir. Ne nous gâtez donc pas cette fête. Vous y verrez sainte Constance, purifiée de la lèpre, se convertir avec dévotion ; vous

  1. Voir Il teatro Italiano dei secoli XIII, XIV e XV par M. Torraca. Florence, 1885.