Page:Revue internationale, 3è année, tome IX, 1885.djvu/225

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verrez dans une bataille furieuse prendre ou tuer beaucoup de gens ; l’empire changer de mains pour la seconde fois ; vous serez témoins du martyre de Jean et Paul et de la mort, qui vengera le sang chrétien, de Julien l’Apostat. »

On voyait tout cela dans une heure et dans un acte : l’imagination des spectateurs était robuste alors. Malgré ces défauts, la pièce de Laurent-le-Magnifique signala un progrès dans l’art. Il y a tels vers où l’auteur de Polyeucte eût pu retrouver son bien, comme celui-ci :

Dove l’arte manca, abbonda Dio[1],

et cet autre :

La morte ho avuta innanzi alla paura[2].

Le caractère historiquement le plus remarquable de la pièce, consiste en ce que, pour la première fois, le politique se fait jour à travers l’homme de théâtre. Écoutez ces considérations sur le rôle du chef de l’État que Laurent place dans la bouche de Constantin :

« Sachez que celui qui veut gouverner le peuple doit penser au bien général… Car ce qu’il fait, beaucoup le font après lui ; et tous les yeux sont tournés vers le seigneur. Les autres dorment avec ses yeux. Le seigneur doit être le serviteur des serviteurs. »

L’habile homme que celui qui savait ainsi dissimuler l’apologie de ses droits sous l’énonciation de ses devoirs et divertissait ses concitoyens en se donnant l’air de faire leur éducation politique !

Mais quelque profondes que fussent ces sentences, quelque séduisant que fût leur mode de lancement, elles n’eussent pas suffi au gouvernement des « divers et ondoyants » Florentins. Pour le Magnifique, c’était peu de leur avoir agréablement fait goûter la politique ; il fallait encore les dégoûter, non moins agréablement, de toute politique. Il fallait leur faire éprouver plus de plaisir à l’étourdissement des distractions qu’au tumulte des factions. De tous les complices dont Laurent de Médicis s’entoura dans ce but, le plus puissant fut le carnaval.

De concert avec les plus beaux esprits d’Italie dont il avait sollicité l’avis, pour ne pas avoir l’air d’innover dans son propre intérêt, il décida de donner aux réjouissances du carnaval un caractère extraordinaire de magnificence. Peintres, sculpteurs, architectes se mirent à l’œuvre ; la noblesse florentine passa en exerci-

  1. Là où manque l’art, Dieu abonde.
  2. La mort m’a pris avant la peur.