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Page:Revue maritime et coloniale, tome 18.djvu/467

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m’y rembarquay et nous appareillâmes dans le moment, pour revenir à Tendel : 26 hommes du vaisseau naufragé y étaient encore dans l’attente que la Providence leur envoyât quelques secours ; le surplus de l’équipage avait gagné la terre sur des radeaux qu’ils avaient faits avec des mâts de vaisseau ; nous primes ces malheureux et nous les menâmes au Sénégal.

Pour répondre aux grâces que la Compagnie ne cessait de me faire, je ne fus pas plustôt arrivé à la concession du Sénégal, que je formay le dessein de lui rendre un service des plus intéressants pour son commerce. Elle avait dépensé plus de 1,500 mille livres pour chasser les Hollandais de l’isle d’Arguin, mais elle n’en pouvait pas faire autant des interlopes anglais qui venaient tous les ans lui enlever la gomme ; en vain elle envoyait dans la saison des navires croiziers, soutenus par des vaisseaux de guerre ; les Anglais se présentaient avec des forces supérieures, et ils traitaient à notre vue, sans pouvoir les en empêcher. Il y avait longtemps que nous faisions cette manœuvre, et il en coûtait des millions tant au roy qu’à la Compagnie, sans espérance de pouvoir mieux faire[1].

Je m’imaginay de faire combattre les Anglais d’intérêts contre les Anglais, et d’attirer par ce moyen toute la traite de la gomme à la Compagnie. Je communiquay mon dessein à un de ses membres qui en rendit compte à feu Monsieur Orry. Ce minis-

  1. Les Anglais nous poursuivaient aux côtes occidentales d’Afrique de la même jalousie qu’ils montraient aux Antilles, au Canada et dans l’Inde. — Un fait qu’on ignore généralement et que ne relatent pas les almanachs du Sénégal, c’est que le 1er janvier 1693, ils nous avaient pris cette colonie qui resta six mois en leur pouvoir. — Depuis, ils ne cessaient de nous tracasser dans notre commerce et surtout dans celui de la gomme. — La Compagnie des Indes, restreinte par eux dans ses opérations sur ce point, pressait, le 7 septembre 1734, le directeur Devaulx de la délivrer de cette concurrence qui l’obligeait à lui réitérer l’ordre de ne traiter que dix mille quintaux de gomme chaque année. « Cette quantité, disais la Compagnie, excède de beaucoup la consommation que nous en ferons, mais elle augmenterait considérablement si vous parveniez à interdire entièrement le commerce aux Interlopes. Nous ne sçaurions rien ajouter aux instances que nous vous avons faites de vous y appliquer de tout votre pouvoir. Nous vous exhortons de nouveau d’y donner tous vos soins. » — Dès 1716 à 1718, la Compagnie du Sénégal avait traité dans ses concessions 2,300,000 livres de gomme et les Interlopes hollandais et anglais, en 1716 et 1717, au nombre de cinq à six navires chaque année, en rapportaient presque autant. La Hollande consommait alors à elle seule 800 à 900,000 livres de ce produit, qui était employé par les imprimeurs-blanchisseurs de toiles et autres manufacturiers. Les vaisseaux faisaient ce commerce de mars en août et en revenaient en septembre.