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Page:Revue maritime et coloniale, tome 18.djvu/572

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rin, qui commandait la flotte de Gia-Long, dont il avait embrassé la cause. Tout ce que nous savons de notre illustre compatriote, c’est que le prince qu’il servait le récompensa dignement en lui prodiguant les titres et les honneurs, et qu’il mourut glorieusement dans un combat naval, en faisant sauter sous lui son navire, qui allait tomber entre les mains des Tay-son. Ces rebelles, on le sait, ne furent réduits qu’au commencement du dix-neuvième siècle[1].

Avant la conquête, de vieux bonzes invalides étaient chargés de l’entretien de la pagode, ainsi que des magnifiques tombeaux des grands hommes qui l’entourent. Ils devaient aussi offrir des sacrifices aux mânes de ces héros, esprits tutélaires de la Cochinchine.

Mais, hélas ! triste effet de la guerre ! cette pagode est aujourd’hui transformée en poudrière, et ses dépendances servent de casernes. Le terrain environnant, où se trouvent tant de beaux monuments funèbres, a été transformé en une prairie d’où l’artillerie tire ses fourrages, et à laquelle on a laissé ses beaux arbres, qui en font un site très-agréable. Sur les bords de la route qui traverse cette prairie et conduit de Saigon à Cholen, on remarque de grands arbres fruitiers très-rares, dont les magnifiques fruits piriformes renferment une substance gluante et claire, que l’on peut manger à l’état naturel, mais qui, cuite, donne une sorte de confiture dont le goût rappelle le miel, et dont les Annamites sont très-friands.

Autour de la pagode, des filaos chevelus, aux troncs droits et frêles, dardent vers le ciel leurs flexibles sommets. Si un léger zéphir glisse sur leurs rameaux, à travers leurs feuilles effilées, ces arbres élégants font entendre comme des soupirs ; si la brise les berce, ces soupirs se changent en murmures plaintifs, qui rappellent le bruit confus que font les petites vagues lorsqu’elles viennent mourir sur un plage unie ; mais, si le vent souffle avec violence, on entend des gémissements lugubres, semblables au bruit lointain de la mer en courroux, brisant ses vagues les unes contre les autres, ou les précipitant avec rage contre les rochers du rivage. C’est alors que les offrandes et les sacrifices redoublent dans le voisinage, car les Annamites, superstitieux, effrayés, croient entendre les plaintes, les cris et les menaces des génies que nous avons chassés de la pagode.

  1. Dans la 1re année du 69e cycle chinois (le cycle chinois est de 60 ans), qui finit le 7 février 1864.