Page:Revue maritime et coloniale, tome 18.djvu/789

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passage qu’un cimetière trop rempli, dont les tombes sont déjà ensevelies sous la ronce envahissante.

L’impuissance qui résultait de la nature des lieux ne pouvait échapper au chef de l’expédition. Aussi se décidait-il, dès le mois de février 1859, à conduire une partie de ses forces au Sud. De nouveaux renseignements, bien préférables aux premiers, lui représentaient de ce côté Saïgon comme le point vraiment vulnérable d’un ennemi alors concentré à Tourane. Le succès fut complet ; on força sans peine les défenses du Donnaï, et le 17 février Saigon tombait en notre pouvoir. La vue du magnifique delta de la Basse-Cochinchine avait été une révélation : chacun en comprit la haute importance sous le triple rapport militaire, maritime et commercial, et le commandant en chef résolut de s’y établir opiniâtrement en attendant la suite des événements, afin de conserver à tout prix l’admirable position que la fortune venait de nous donner. L’amiral Page, qui le remplaça peu après, pensa et agit de même. C’est à cette heureuse inspiration que la France doit sa nouvelle colonie. Il est hors de doute en effet que si, satisfaits du résultat de cette diversion, nous eussions alors évacué le Donnaï et Saïgon ; les Annamites, instruits à leurs dépens, s’y seraient immédiatement fortifiés de telle façon que l’on eût reculé plus tard devant les sacrifices nécessaires pour s’emparer de nouveau du pays.

Cependant les événements étaient loin de favoriser ce premier projet d’établissement. Non-seulement la guerre d’Italie venait d’éclater en Europe, mais la seconde guerre de Chine était survenue presque en même temps, et elle réclamait le concours de toutes les forces dont nous pouvions disposer dans l’extrême Orient. L’année 1860 fut peut-être par suite la période la plus critique de la colonie naissante. On avait enfin évacué Tourane au mois de mars 1860, pour ne garder que Saïgon, où le capitaine de vaisseau d’Ariès avait été laissé avec quelques centaines d’hommes et quelques avisos. A 4 kilomètres de lui, l’armée annamite, fortement retranchée dans le camp de Kihoa, recevait sans cesse de nouveaux renforts du Nord, et s’étendait chaque jour davantage de manière à le cerner dans sa position. Attaquer cette armée était matériellement impossible avec le peu de monde qui nous restait ; le prédécesseur du commandant d’Ariès en avait fait la triste expérience. Tout ce que l’on pouvait espérer était de se maintenir dans le cercle étroit que nous occupions jusqu’au retour de l’escadre de Chine. On y réussit, non sans maints combats acharnés, dont le plus sanglant et le plus glo-