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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1885.djvu/397

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ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE

La mémoire de l’enfant est une page blanche où tout s’imprime avec aisance, un miroir pur où tout se reflète.

Opinions de Rousseau et de Mme Campan. — Que penser alors de l’opinion de certains pédagogues, d’après lesquels l’enfant, le petit enfant tout au moins, n’aurait pas de véritable mémoire ?

« Quoique la mémoire et le raisonnement soient deux facultés différentes, écrit Rousseau, l’une ne se développe véritablement qu’avec l’autre. Les enfants, n’étant pas capables de jugement, n’ont point de véritable mémoire[1]. »

Et, de son côté, Mme Campan déclare que « la mémoire ne se développe qu’à l’âge de trois ans[2] ».

Il suffit d’étudier de près l’opinion de Rousseau pour se convaincre que le désaccord avec lui est simplement apparent, qu’il dérive d’un malentendu qui porte sur les mots. La mémoire que Rousseau refuse à l’enfant est celle des idées abstraites : il est le premier à lui accorder la mémoire des sons, des figures et en général de toutes les notions sensibles.

Quant à l’affirmation de Mme Campan, elle se rapporte à ce fait d’observation générale que l’homme mûr ne se rappelle pas les événements des deux ou trois premières années de sa vie. Ces premières années sont pour nous comme si elles n’existaient pas : une nuit noire les recouvre dans notre conscience, à peine coupée par quelques lueurs, par le souvenir de quelque accident grave, de quelque catastrophe. Leibnitz cite un enfant qui, devenu aveugle vers deux ou trois ans, ne se rappelait plus rien de ses perceptions visuelles[3].

Est-ce à dire pour cela que, même pendant ces années de début dans la vie, où la conscience est encore obscure, la mémoire de l’enfant n’agit pas, n’acquiert pas. Il suffirait, pour réfuter Mme Campan, de rappeler qu’à trois ans l’enfant sait généralement parler, et que la connaissance des mots de la langue maternelle suppose un déploiement considérable de la mémoire. Seulement les premières acquisitions du souvenir sont frêles et fragiles : elles ont besoin d’être fixées, for-

  1. Émile, 1. II.
  2. De l’Éducation, 1. III, ch. 1.
  3. Leibnitz, Nouveaux essais sur l’entendement, liv. 1, ch. III.