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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1885.djvu/399

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ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE

l’esprit de l’enfant comme des images sans liens et pour ainsi dire détachées de leur cadre.

Culture de la mémoire. — Montaigne faisait remarquer avec raison qu’on ne s’occupe le plus souvent que de meubler la mémoire, qu’on oublie de la former : L’essentiel en effet n’est pas seulement que l’enfant sorte de l’école, l’esprit bien garni de souvenirs et de connaissances : il importe aussi qu’il ait à sa disposition une mémoire souple et forte, en état de s’enrichir encore, de s’approprier des notions nouvelles et de se plier aux usages de la vie.

Il y a donc deux parties distinctes dans la culture de la mémoire. Il faut d’abord lui faire acquérir le plus possible de connaissances : ce qui est l’objet de l’enseignement tout entier. Il faut en second lieu la fortifier et l’accroître, en tant que faculté de l’esprit : ce qui sans doute résulte en partie de l’enseignement lui-même, mais ce qui exige aussi quelques précautions spéciales, dont l’ensemble constitue ce qu’on peut appeler l’éducation propre de la mémoire.

Est-elle nécessaire ? — Mais cette culture spéciale de la mémoire est-elle nécessaire ? Et, s’il est démontré qu’elle est nécessaire, est-elle possible ?

Nous n’hésitons pas à répondre affirmativement, malgré l’opinion contraire de Locke.

Locke s’autorise précisément de l’emploi constant que nous faisions de la mémoire dans le monde et dans la vie pour contester l’utilité de l’exercer à l’école.

« La mémoire, dit-il, est si nécessaire dans toutes les actions de la vie, il y a si peu de choses qui puissent se passer d’elle, qu’il n’y aurait pas à redouter qu’elle s’affaiblit, qu’elle s’émoussât, faute d’exercice, si l’exercice était véritablement la condition de sa force[1]. »

Sans doute la vie sera une bonne école pour la mémoire ; mais à une condition, c’est que la mémoire ait déjà été assouplie, rompue au travail par les études de la jeunesse, et que l’homme la reçoive des mains de l’écolier comme un instrument déjà

  1. Pensées sur l’éducation, éd. Hachette, p. 281.