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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1885.djvu/406

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REVUE PÉDAGOGIQUE

facultés, et, selon l’expression de Vauvenargues, « il ne faut avoir de la mémoire qu’en proportion de son esprit ».

Mais il n’y a rien à redouter de la mémoire, si on a soin de la tenir à son rang, et de la considérer seulement comme une faculté auxiliaire, « comme un merveilleux outil, selon le mot de Montaigne, sans lequel le jugement fait à peine son office ». Confiés à un esprit vivant, actif, qui garde la liberté de ses jugements, les souvenirs, quelque nombreux qu’ils soient, animent l’intelligence et la vivifient, loin de l’engourdir et de l’étouffer : ils la meublent, sans l’encombrer. Ils y sont d’ailleurs le point de départ de toute une floraison de pensées nouvelles. Comme le dit un peu emphatiquement {{Mlle[Marchef-Girard}}, « la mémoire n’est pas un tombeau ; c’est un berceau où l’idée grandit ».

Mémoire et récitation. — Le discrédit où est parfois tombée la mémoire provient surtout de la confusion qu’on a faite entre la mémoire proprement dite et la récitation, c’est-à-dire une forme particulière de l’exercice de la mémoire. Alors même que l’on proscrirait la récitation, et qu’on renoncerait à faire apprendre : par cœur, il n’en serait pas moins nécessaire de développer la mémoire.

Il s’en faut d’ailleurs que la récitation elle-mème mérité toutes les critiques dont elle est l’objet.

Opinion de M. Herbert Spencer. — M. Herbert Spencer est de ceux qui ont le plus résolument condamné la méthode des récitations littérales[1] :

« L’habitude d’apprendre par cœur, autrefois universellement répandue, tombe tous les jours en discrédit. Toutes les autorités modernes condamnent la vieille méthode mécanique d’enseigner l’alphabet. On apprend souvent la table de multiplication par la méthode expérimentale. Dans l’enseignement des langues, on substitue déjà aux procédés des collèges d’autres procédés imités de ceux que suit spontanément l’enfant quand il apprend sa langue maternelle. Le système qui consiste à faire apprendre par cœur donne à la formule et au symbole la priorité sur la chose formulée ou symbolisée. Répéter les mots correctement suffisait, les comprendre

  1. M. Rousselot est tombé dans les mêmes exagérations : « Cette vieille habitude de faire apprendre par cœur est un des plus fâcheux et des plus tenaces préjugés de la pédagogie routinière : justement discréditée, tout le monde la répudie en théorie. » Pédagogie, p. 178.