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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1887.djvu/492

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REVUE PÉDAGOGIQUE

passés auprès d’eux en imagination, il lui restât au moins un peu de cette sympathie dont on est pénétré quand on vient de voir à l’œuvre ces vaillants pionniers.

Pour donner plus de prise et plus de relief à nos observations, nous les présenterons le plus souvent sous la forme d’une comparaison entre l’Algérie et la Tunisie. Peut-être par là exagèrerons-nous un peu les différences, qui deviendront presque des contrastes. Mais il n’y a pas grand inconvénient, et l’avantage sera d’accentuer par quelques traits la physionomie propre des deux pays et des deux mouvements scolaires.

I

D’abord, qu’entend-on par ce mot générique « indigènes » ? Quelles étaient, dans les deux pays que nous voulons comparer, les populations indigènes à instruire ?

Il faut essayer de se les représenter avant d’apprécier si et comment elles peuvent recevoir l’instruction.

En Algérie comme en Tunisie, la première population indigène qui frappe les regards du voyageur est celle des grandes villes du littoral. Il se demande ce que sont ces hommes d’un type sémitique voisin du plus pur type caucasien, aux traits réguliers, de belle prestance tant qu’ils ne sont pas appesantis par l’embonpoint, coiffés d’un turban de riche étoffe, vêtus de deux gilets brodés en or et en soie, et d’une large culotte en forme de jupe, chaussés de babouches jaunes ou oranges. Quoiqu’ils parlent arabe, ce ne sont pas des Arabes proprement dits, ce sont des « a Maures ». Sont-ce les descendants des Maures d’Espagne refoulés sur les côtes barbaresques, les débris d’une antique race locale ou d’une première invasion arabe ? N’est-ce pas plutôt le produit fort mélangé de toutes les invasions, et, comme le dit Fromentin, « n’y aurait-il pas, dans les veines de ce peuple aux traits charmants mais indécis, un composé de sang barbare et de sang gréco-romain[1] ? » Quoi qu’il en soit de leur origine, les Maures des villes se reconnaissent aisément : ils forment ce petit peuple d’artisans, de boutiquiers, de rentiers, et de scribes qui fourmille dans les soukhs de Tunis comme dans les rues

  1. Une année dans le Sahel. p. 85.