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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1887.djvu/496

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REVUE PÉDAGOGIQUE

c’est une installation qui ne se peut comparer qu’aux plus misérables campements de bohémiens comme on en voit aller dans nos campagnes de foire en foire. Inutile d’essayer de décrire une telle vie, sa misère, son épouvantable rusticité, sa saleté, sa vermine. Et pourtant, vienne le jour du marché, quand vous verrez les hommes du douar réunis sur la colline ou sur la grande place, debout immobiles et impassibles dans leurs burnous, ou le soir accroupis au café maure, groupés en cercle pour écouter un concert arabe ou nègre, jamais vous ne croiriez que de si graves, de si fiers, de si majestueux personnages sortent de ces taupinières et y retournent. Pour qui fait un premier voyage en Algérie, rien n’est plus saisissant que de voir partout pour ainsi dire côte à côte la vie arabe et la vie européenne, se touchant toujours, et ne se pénétrant jamais, le village français avec ses boutiques, son inévitable café, l’auberge au Lion d’Or ou au Cheval Blanc, la ferme et sa basse-cour et ses ustensiles qui nous font tout de suite revoir un coin de campagne bien connu, le potager avec les haricots et les choux apportés de France, et puis, à quelques pas de là, en plein champ, dans la boue, entouré d’une ceinture d’immondices et de détritus, l’autre village, celui des indigènes, des anciens propriétaires du sol, aujourd’hui misérables pâtres ou cultivateurs mercenaires au compte des Européens, et dont l’existence toute entière s’écoulera sans qu’ils connaissent d’autre demeure que ces cabanes mobiles, d’autre résidence que la banlieue de nos villes et de nos villages, d’autre propriété que cet éternel droit de campement et de pacage dans des plaines immenses.

Il resterait à parler du dernier groupe de population, l’Arabe véritablement nomade, l’Arabe des grandes tentes, du Sahara, l’Arabe des fantasias, le héros de tant de légendes militaires et poétiques, celui qui est le brillant soldat de la France dès qu’il n’est plus son insaisissable ennemi. Mais celui-là il faut l’aller chercher bien loin d’Alger et même de Tunis. Et avant qu’il soit sérieusement question d’assimiler par l’école ces tribus guerrières et nomades qui nous servent d’avant-garde aux confins du désert, combien s’écoulera-t-il d’années ou combien de générations ?