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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1887.djvu/498

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REVUE PÉDAGOGIQUE

II

Si les populations à instruire sont sensiblement les mêmes en Tunisie qu’en Algérie, au contraire les circonstances dans lesquelles nos instituteurs les ont abordées, les dispositions où ils les ont trouvées diffèrent absolument de l’un à l’autre pays.

Nous nous sommes établis en Algérie par la conquête, ou plus exactement par une suite de conquêtes chèrement achetées. Nous nous y sommes maintenus pendant un demi-siècle par un régime exclusivement militaire. Était-ce un bien, un mal, ou tout simplement une nécessité ? Du moins on ne doit pas s’étonner que les bureaux arabes n’aient pas précisément fait bénir la France. Cinquante ans d’état de siège ne rapprochent pas beaucoup du vainqueur l’esprit du vaincu. Encore si tout avait été fini le jour où cessait la lutte à main armée ; mais c’est de ce jour au contraire que naissaient les plus graves difficultés : l’Arabe dépossédé ne haïssait pas seulement le Français comme envahisseur de son pays, mais comme spoliateur de sa petite fortune. En réalité il n’y avait pas spoliation au sens propre, mais le moyen d’expliquer aux Arabes toutes les complications résultant de la substitution de notre mode de propriété à l’ancien ?

De là une situation toujours tendue : constamment sous la menace d’un soulèvement, le Français traitait durement l’indigène, et l’indigène n’était que plus porté au soulèvement. L’insurrection éclatait un jour ici ou là, formidable, sauvage ; elle était réprimée, il le fallait, par des moyens non moins terribles, et parfois elle consommait la ruine de toute une population. Telle a été en particulier l’histoire de la Kabylie ; peut-on oublier que c’est seulement depuis 1871 qu’elle est véritablement à nous ? Dans cette lutte suprême elle a perdu ses chefs, elle a vu périr l’élite de sa population, elle a dû rendre 80,000 fusils, payer une indemnité de guerre de 30 millions et subir le séquestre, c’est-à-dire la confiscation de ses meilleures terres.

Sans doute il ne faudrait pas juger par ce tragique épisode de la situation de toute l’Algérie ; mais enfin ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est qu’il n’y a pas encore dix ans que l’Algérie est administrée par un gouverneur général civil.