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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1887.djvu/499

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NOS PIONNIERS EN AFRIQUE

Dans de telles conditions, au milieu des préventions, des méfiances, des haines, l’œuvre pacifique de l’école devait rencontrer des deux parts peu d’enthousiasme, et nous allons voir, en effet, qu’elle s’est péniblement développée pendant ce demi-siècle.

Tout autre a été dès le début la situation de la Tunisie. Nous n’y sommes ni des conquérants ni des spoliateurs. Nous n’avons pas rencontré de résistance et nous n’en pouvions rencontrer. Le sentiment de l’indépendance nationale, le plus farouche et le plus noble des sentiments virils, s’il ne fait pas défaut au peuple tunisien, a pris chez lui par la force du temps et par la lente pression de l’histoire une forme particulière. Le Tunisien est habitué à voir son pays sous une suzeraineté plus ou moins lointaine et nominale. Le patriotisme tunisien n’est pas plus blessé de cette idée de vassalité que ne l’est celui du Suisse ou du Belge de l’idée que son pays est un petit pays neutre. Notre protectorat n’était pas une invention de circonstance, ce n’était pas même une fiction, c’était l’expression juste d’une situation, et il pouvait d’autant moins choquer qu’il venait en aide à un magnifique pays et à un peuple laborieux réduit à la misère, à la banqueroute par les vices séculaires d’une administration dont nous ne pouvons pas en France nous faire une idée. Il faut avoir lu le beau livre technique que M. de Lanessan vient de publier sur la Tunisie[1] pour commencer à comprendre un tel état de société ; et dès qu’on l’a entrevu on peut s’étonner que la Tunisie subsiste encore, mais non pas que les Français prétendent y être accueillis comme des libérateurs : ce serait le contraire qu’on aurait peine à s’expliquer.

On voit dès lors sous quels auspices plus favorables a pu débuter l’œuvre scolaire en Tunisie : les écoles y faisaient dès la première heure partie du plan de réformes conçu sous notre inspiration. Rien ne s’y opposait par avance, non plus qu’à aucune des entreprises d’amélioration administrative et sociale dont nous étions les promoteurs. Là du moins nous pouvions apporter le progrès sans être aussitôt soupçonnés, comme en Algérie, de venir imposer aux vaincus nos mœurs, nos lois, notre langue et notre religion.

  1. La Revue pédagogique en a rendu compte dans son dernier numéro.