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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1887.djvu/502

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REVUE PÉDAGOGIQUE

à plus de 17,000 âmes. L’ancien directeur, M. Depeille, étant mort, un jeune sous-maître indigène, M. Fatah, mulâtre, restait seul avec un ou deux moniteurs indigènes. On leur signifia la décision municipale, la suppression de leur traitement. Ils n’eurent pas le courage de s’en aller, laissant là les quelques centaines de petits enfants qui s’obstinaient à venir en classe, et quelle classe ! un vrai taudis au haut d’un escalier sombre, dans une maison délabrée.

Il y avait trois mois que durait ce tour de force quand l’État intervint, et, prenant à sa charge la totalité des frais de cette pauvre école, en empêcha la suppression. Je l’ai revue cette année, toujours dans le même local, avec les marches plus usées, les carreaux de briques plus disjoints, les vitres qui se cassent suppléées par du papier, mais M. Fatah est heureux au milieu de cette fourmilière d’enfants. Il a deux jeunes adjoints français, et un taleb pour enseigner le Coran. Il a 171 élèves (dont l’énumération mérite d’être donnée : 10 Français, 12 Espagnols, 5 Koulouglis, 18 Kabyles, 2 Marocains, 30 Arabes, 73 Maures et 1 Juif) ; il en aurait le double aisément dans les quarante-huit heures s’il savait où les loger. Hélas ! il n’en a déjà que trop.

On est partagé entre la pitié, l’inquiétude et l’admiration quand on voit ces malheureux petits enfants, les tout petits surtout, entassés à la lettre, serrés coude à coude, étouffant à trente ou quarante dans un espace où chez nous le moins vigilant des comités de salubrité publique ne permettrait pas d’en mettre dix. On constate pourtant quelque perfectionnement dans le local, il y a eu quelques réparations dans le mobilier et une cloison construite pour séparer deux classes. Ces frais ont été supportés, le lecteur le devinerait-il ? par l’Alliance française pour la propagation de notre langue dans les pays étrangers.

Le conseil municipal de la première ville française d’Afrique accepte cette libéralité.

C’est dans ce misérable local que j’ai entendu chanter la Marseillaise et d’autres chants français avec le plus de cœur et le plus d’élan ; j’y ai entendu expliquer et commenter avec chaleur, par de jeunes indigènes munis du certificat d’études, la devise républicaine : Liberté, Égalité, Fraternité, les bienfaits de la civilisation et la grandeur de la France. L’avouerai-je ?