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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1887.djvu/514

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REVUE PÉDAGOGIQUE

Deux-Mondes l’homme le mieux placé pour en bien parler, on n’a pas désespéré des indigènes, on leur a laissé le temps de se calmer, de revenir non plus en ennemis, mais en simples cultivateurs. » De même pour l’instruction, l’influence française s’est plutôt insinuée qu’imposée ; aussi est-elle non pas seulement subie, mais acceptée. Il y avait, il y a encore en Tunisie une aristocratie indigène, cultivée, polie, instruite à sa façon et susceptible de s’instruire à la nôtre par surcroît. Dans cette classe et même « chez le plus grand nombre dans toutes les classes, ni fanatisme, ni parti pris, ni rancune : il a suffi de trois ou quatre années d’observation de leur part et de prudence de la nôtre pour que la défiance ait fait place à un sentiment tout différent, je ne dirai pas le désir de nous être agréable, ni la reconnaissance, ni même la sympathie ; mais la sécurité, l’espoir de n’être plus indignement exploités, de voir le propriétaire semer sans crainte et récolter son orge, vendre ses moutons, payer ses ouvriers, s’enrichir enfin et enrichir ses semblables sans cesser d’être musulman[1]. »

La conséquence de cette situation, — et c’est le second trait caractéristique que l’on retrouve ici par contraste avec l’Algérie dans les choses scolaires autant qu’en tout le reste de l’administration, — c’est qu’il a fallu procéder sans rien brusquer, gagner du temps en sachant en perdre, avancer avec douceur et gravité, à l’orientale. Rien à faire de vive force.

L’écrivain que nous citions tout à l’heure, et qu’on nous saura gré de citer encore, explique par quelques détails ce qu’il a fallu de patience et de diplomatie pour établir les règlements les plus simples, pour rendre par exemple la circulation possible dans les rues de la ville : « La rue, appartenant à tout le monde, était devenue presque impraticable ; avant notre arrivée, chacun s’y installait à sa guise, y tuait son mouton, y faisait sa cuisine et s’y considérait comme en plein champ. On affichait bien des décrets du bey, un crieur public fendait la foule dans les bazars pour en donner lecture à tous : peine inutile ; on dressait des contraventions : vaine menace. Qui ne savait pas qu’à Tunis ce qui était défendu finissait toujours par être toléré ? L’un avait un

  1. Revue des Deux Mondes, mars 1887.