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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1887.djvu/518

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REVUE PÉDAGOGIQUE

qu’il le faudrait, les deux camps se séparent, les indigènes aimant mieux malgré la défense converser plus librement entre eux dans leur langue. Le soir, ils se mettent à l’écart pour dire à mi-voix leurs chants monotones ; ou bien ils s’accroupissent en cercle pour entendre un conteur répéter leurs légendes. Souvent je m’approche du cercle et tâche de faire exprimer les récits en français ; mais la verve du narrateur s’éteint bientôt et le cercle tend à se séparer. Je les interroge alors sur leurs usages, sur leurs coutumes, mais ils sont peu communicatifs sur ce qui concerne eux et leurs familles ; ils s’intéressent plus volontiers à ce qu’on leur dit de la France, de ses villes, de Paris surtout dont le nom fait briller leurs yeux émerveillés.

Quelques indigènes travaillent énergiquement, mais la plupart sont indolents et médiocrement doués ; ils sont longtemps à profiter d’un enseignement qui leur est donné dans une langue à eux peu familière. Ils réussissent d’une façon assez satisfaisante dans l’étude du calcul, des éléments de la géométrie, des sciences physiques et naturelles et de la géographie. Ils sont d’une maladresse incroyable pour le dessin, mais ils se plaisent à la calligraphie et à l’enluminures des cartes. L’histoire ne s’adresse qu’à leur mémoire ; ils n’apprécient pas les faits avec nos idées ; par exemple ils ne comprennent pas que nous admirions Washington descendant du pouvoir après avoir sauvé son pays. Il aurait dû, d’après eux, garder le premier rang et mettre tous les siens en place autour de lui. L’intérêt, c’est leur règle ; leur admiration est pour ceux qui dominent et donnent une part de leur influence à leurs parents et à leurs amis ; ils admirent le courage militaire : pour leur faire estimer notre organisation sociale, il faudrait bien connaître leur condition avant la conquête, et leur montrer les avantages dont jouissent les Français. Ils s’intéressent beaucoup à ces questions : quelquefois des discussions s’élèvent sur la prééminence des Français et des Arabes et le débat s’échauffe jusqu’à la violence ; ils sont fiers de leurs alités militaires et vantent la bravoure des Turcos en 1870 et au Tonkin ; ils s’estiment très haut et s’imaginent que leur civilisation et leurs mœurs valent bien les nôtres. »

À Alger le cours normal reçoit depuis une année seulement, outre les leçons du personnel ordinaire de l’école, les soins d’un jeune maître délégué, M. R. Rey, qui donne des renseignements analogues. Il insiste cependant sur la différence entre l’Arabe et le Kabyle :

« Nous avons, dit-il, cinq Arabes et onze Kabyles ; et la rivalité, l’antipathie de race qui parfois éclate entre eux n’est pas la moindre difficulté dont nous ayons à tenir compte. À l’examen d’entrée les cinq Arabes ont eu les cinq premiers rangs. En général, les aptitudes intellectuelles de l’Arabe sont supérieures à celles du Kabyle. Il est moins laborieux, mais plus vif, plus ardent, plus curieux d’apprendre. Tandis