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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1887.djvu/519

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NOS PIONNIERS EN AFRIQUE

que le Kabyle, au sortir de l’école, et s’il reste dans l’enseignement, retournera invariablement dans la montagne, l’Arabe ira facilement où on l’enverra. C’est un prosélyte précieux.

Mais pour tirer tout le profit désirable de leur séjour à l’école, il faudrait deux conditions. D’abord, que nos élèves entrassent un peu mieux préparés. Il nous arrivent dans un état voisin de l’ignorance et même pire a certains égards, car ces jeunes cervelles ne sont point en friche, mais cultivées à rebours et déjà remplies de superstitions et d’idées fausses : il y faut arracher autant que planter. Leurs années de séjour à l’école primaire n’ont pas été ce qu’elles auraient dû être. Au lieu de leur élargir l’esprit on s’est contenté d’y empiler par la méthode des rabâchages une foule de notions inutiles.

N’est-il pas absurde de voir ces enfants, encore tout imprégnés de leurs gourbis, réciter en perroquets les hauts faits de Charles-le-Chauve ou la liste des sous-préfectures du Morbihan, perdre le plus souvent deux heures par jour à des dictées et autres exercices orthographiques dont ils ne soupçonnent ni la signification ni l’utilité ?

Ensuite il faudrait que le cours normal pût être installé, les élèves logés, les cours appropriés et les programmes répartis de façon à ménager scrupuleusement le temps… »

Et faisant allusion à la déplorable installation matérielle de cet établissement, que M. Berthelot a constatée par lui-même, l’auteur de la lettre ajoute mélancoliquement : « Heureusement que nos élèves sont musulmans, car s’ils avaient lu l’Évangile, ils pourraient bien dire : Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids, et nous n’avons pas où reposer la tête. »

Il n’y a pas de cours normal analogue dans le département d’Oran, mais voici quelques lignes que je me reprocherais de ne pas mettre sous les yeux des lecteurs. Elles viennent du point extrême de notre frontière marocaine. Ce sont les Observations d’un indigène sur l’instruction des indigènes ; on va voir qu’elles ne sont pas sans piquant :

Le jour où la France a planté son drapeau sur le rivage africain, elle a pris l’engagement tacite de travailler à la civilisation et à l’émancipation du peuple qu’elle venait de conquérir ; sous peine de déchoir elle doit tenir parole, quelles que soient les difficultés qu’elle rencontre dans l’accomplissement de cette glorieuse tâche…

Si l’on veut s’éviter de cruels mécomptes, il faut d’abord se représenter qu’en l’état actuel l’Arabe de l’Algérie peut subir l’instruction, mais ne Ja demandera pas : il est même disposé, sauf quelques rares exceptions, à y voir une sorte de piège tendu à sa simplicité, en vue de lui ravir sa nationalité et sa religion. Il ne faut pas lui en vouloir pour cela (l’attachement aux mœurs et au culte des