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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1887.djvu/520

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REVUE PÉDAGOGIQUE

ancêtres a du bon, c’est très souvent un sentiment respectable} ; mais se contenter d’en faire son profit, et le traiter en conséquence, c’est-à-dire, suivant une expression aussi triviale que juste, comme l’enfant auquel on voudrait administrer une médecine répugnante.

En second lieu, prendre de jeunes Arabes dans leur douar, les tenir plusieurs années sur les bancs d’un établissement élevé à grands frais et pourvu d’un matériel et d’un personnel dispendieux, puis les renvoyer dans leurs tribus « gros-Jean comme devant » sans leur avoir tracé un but et les y avoir poussés, sans leur avoir fait une position et les avoir mis à même d’appliquer ce qu’ils viennent d’apprendre, c’est créer des déclassés et rien de plus.

Des déclasses ! combien en ai-je vu au lycée de ces jeunes gens pleins d’intelligence à qui l’avenir semblait sourire et que j’ai rencontrés plus tard sur le pavé, d’autant plus malheureux et à plaindre que l’instruction avait excité leur sensibilité, ouvert leur appétit et multiplié leurs besoins !

Que n’étaient-ils restés dans leurs montagnes à garder leurs troupeaux !

Certes je suis loin de prétendre que le gouvernement doit pensionner ou placer tous les indigènes qu’il a instruits. Mais ne devrait-il pas, après avoir prodigué son argent et sa peine pour élever leur moral et développer leur intelligence, s’inquiéter de ce qu’ils deviennent et essayer d’en tirer parti en leur accordant de préférence les emplois dont il dispose ? Il est certains petits emplois, modestes pour la plupart et néanmoins fort recherchés des indigènes : caïds, gardes champêtres, secrétaires, khodjas, agents de police ou autres, voire même chaouchs ou employés de bureaux ; pourquoi le gouverneur n’arrêterait-il pas qu’ils seraient donnés de préférence, pour ne pas dire exclusivement, aux indigènes parlant et écrivant le français ?

Je ne saurais assez insister sur ce point. Les Arabes, plus que personne au monde, sont sensibles à l’honneur de faire partie de l’administration à quelque titre que ce soit. Ouvrir cette carrière aux Arabes instruits, ce sera leur prouver que le gouvernement français tient pour un mérite de savoir lire et écrire le français. Et plusieurs s’y appliqueront que rebute aujourd’hui la perspective d’un labeur sans récompense…

D’autres encouragements encore seraient utiles pour stimuler l’assiduité des élèves et le zèle des parents. Nous n’en exclurons qu’un seul, les distributions d’argent. Outre que ce genre de récompense grèverait le trésor public, il serait fâcheux, selon nous, que le jeune élève devenu homme eût à rougir d’avoir accepté une espèce d’aumône que rien ne justifie ; mais nous verrions avec plaisir exempter le père de la garde que chaque indigène est tenu de fournir la nuit dans sa tribu, en été, aux postes vigies, et multiplier les primes et autres stimulants.

Pourquoi l’élève qui a fait certaines études ou satisfait à certains examens ne serait-il pas admis à l’électorat ? Nous voudrions qu’auprès de chaque école arabe-française il y eût une commission scolaire où les Arabes les plus éclairés de la région auraient largement accès, et qui encouragerait les parents, proposerait les réformes nécessaires, dresserait la liste des élèves les plus méritants, et les recommanderait au gouverneur…