L’enseignement des filles est une œuvre particulièrement délicate dans un pays où la femme est réduite à l’état d’esclave domestique.
Je n’ai pas visité l’orphelinat de jeunes filles près de Fort-National. Ne possédant point alors d’autorisation régulière, un excès de scrupule de la directrice m’en a refusé l’entrée. Toutefois j’en ai entendu faire des critiques nombreuses et en apparence motivées. Quel peut être en effet l’avenir de ces jeunes filles séparées des leurs dès l’enfance et élevées à la française ? Quand elles sortent de l’orphelinat, leurs familles ne les connaissent plus. Elles-mêmes ne sauraient consentir à reprendre une existence asservie. C’est donc comme ouvrières ou domestiques qu’elles doivent être placées. Mais privées des guides de la religion, de la famille et de l’opinion, livrées à elles-mêmes sans contrôle, l’abandon et à l’inconscience native héritées de l’esclavage reprennent le dessus. Elles succombent rapidement d’ordinaire à la corruption environnante, et leur chute nous est rejetée.
Le grand point pour nous serait donc d’attirer la jeune fille à l’école, sans la séparer de la famille dont nous ne pouvons assumer la surveillance et prendre la responsabilité.
Trois écoles ont été fondées, dans ces conditions, à Djijelli, à Bougie et à Constantine. La première n’a pas réussi, paraît-il. J’en ignore les causes. Mais les deux autres prospèrent. À Bougie, où la race kabyle est très mélangée à la race arabe, les jeunes filles qui fréquentent l’école appartiennent, pour un grand nombre, à la petite bourgeoisie. On les voile de douze à quatorze ans, et alors elles rentrent chez elles. Jusqu’à cette époque, les familles n’ont aucune répugnance à nous les envoyer, sans régularité toutefois. Trente à trente-cinq présentes sur plus de soixante-cinq inscrites. La maîtresse demande instamment l’obligation.
À Constantine, de pure race arabe, ancienne ville sainte, le fanatisme reste plus vivant, et la maîtresse redouterait l’obligation. Elle n’en a pas besoin d’ailleurs. Soixante-quinze à quatre-vingts présentes sur cent cinq à cent dix inscrites, c’est tout ce que son local insuffisant arrive à contenir.
Dans ces deux écoles, tous les liens de famille sont maintenus. L’éducation demi-française, loin de nuire au mariage, le facilite au contraire. Les jeunes filles qui parlent un peu français — me