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L’ENSEIGNEMENT CHEZ LES INDIGÈNES MUSULMANS D’ALGÉRIE

diadème des femmes kabyles, assez semblable au kokochnik des femmes russes. Son père, suivant la coutume du pays, prétendait la marier, c’est-à-dire la vendre, l’exploiter ; elle a invoqué fièrement son titre de fonctionnaire français, s’est abritée du drapeau tricolore, a déclaré qu’elle n’était pas une Kabyle et une esclave, qu’elle ne se marierait que suivant son cœur. Elle n’a cependant lu aucun de nos romans ! Elle épousera sans doute quelque maître indigène de nos écoles. La maison qu’elle habite dans le village se compose de deux chambres ; dans l’une grouille le reste de la famille, son père, sa belle-mère, leurs enfants grands et petits, le dernier mioche dans son berceau ou plutôt une balançoire suspendue aux poutres, tous les autres couchant par terre, enfumés par leur foyer sans cheminée ; dans l’autre pièce, Mlle Fatma, fonctionnaire français, habite seule, dans une propreté et un ordre parfaits, avec quelques meubles européens et cette rareté en Kabylie qui s’appelle un lit, avec une bibliothèque de quelques volumes, et au mur un calendrier éphéméride. D’un côté de la cloison, la vieille Berbérie dans la crasse et le désordre natifs ; de ce côté, la France africaine de l’avenir.

L’école d’Aït-Hichem a deux maîtresses : une institutrice française, Mlle Raynaud, et une monitrice indigène, Dabia-naït-Ahmed. Celle-ci est une figure étrange et même amusante, avec son dia dème kabyle sur la tête, des bijoux indigènes à profusion sur son corsage, la jupe un peu bien courte, des bas couleur réséda, des bottines européennes très fatiguées, un air de dignité doctorale et une gravité de savant.

Les deux classes réunies contiennent 83 élèves présents sur 97 inscrits : 35 filles et 48 garçons. Cette fréquentation exemplaire et la présence des filles sur les bancs sont deux phénomènes à noter. Ils s’expliquent tous deux par la personnalité du « président » de la tribu des Aït-Yahia, Mohamed-naït-Abdesselam, qui habite le village et s’est constitué le patron de l’école. C’est un bel homme de trente-cinq à trente-huit ans, de mise très élégante, arborant sur son burnous d’une blancheur irréprochable les palmes d’officier d’académie au ruban violet et une médaille de sauvetage au ruban tricolore. Il est résolument acquis aux idées françaises. Il a donné le bon exemple en nous confiant non seulement ses fils et ses neveux, mais ses nièces et ses filles, toute la famille, toute une