Dans le rapport de M. Pauliat sur le budget algérien pour 1891, on peut relever une proposition bien séduisante, car elle tend, suivant la théorie d’un personnage de Molière, à faire beau coup avec peu d’argent. Il s’agirait tout simplement d’enrôler les professeurs indigènes des zaouia et les autres tolba en quête d’emploi, et de les charger, moyennant une faible allocation, d’enseigner le français à leurs jeunes coreligionnaires. Il n’y a qu’une difficulté, mais très sérieuse, à ce projet : c’est que les tolba, en général, ne savent pas le français. Le sauraient-ils pour leur usage personnel, ils n’auraient pas la méthode pour l’enseigner à d’autres. L’expérience a prouvé que les maîtres indigènes, même les mieux dressés, obtiennent fort peu de résultats quand ils sont abandonnés à eux-mêmes. Il faut qu’ils soient encadrés dans un personnel européen, surveillés, dirigés. Quelques années d’école primaire, avec l’examen du certificat d’études pour sanction, deux années aux écoles normales d’Alger et de Constantine, avec l’examen du brevet simple, ce n’est pas encore une préparation suffisante. Le ministère vient donc de prendre une mesure excellente en décidant que le séjour des futurs maîtres indigènes dans nos écoles normales sera porté de deux années à trois. Il faut non seulement qu’ils apprennent le français, mais qu’ils apprennent à l’enseigner. Il ne suffit pas non plus qu’ils enseignent la grammaire et des mots : il faut qu’ils se pénètrent d’idées et de sentiments français, afin qu’ils puissent ensuite les propager autour d’eux. Avant d’aller diriger nos écoles, il faut qu’ils acquièrent une intelligence, une âme, une conscience françaises ; il faut qu’ils soient en mesure de remplir la grande mission que l’on attend d’eux non seulement dans l’intérêt de la France, mais aussi et surtout dans l’intérêt de leurs coreligionnaires.
La première conquête de l’Algérie a été accomplie par les armes et s’est terminée en 1871 par le désarmement de la Kabylie. La seconde conquête a consisté à faire accepter par les indigènes notre administration civile et notre justice. La troisième conquête se fera par l’école : elle devra assurer la prédominance de notre langue sur les divers idiomes locaux, inculquer aux musulmans l’idée que nous nous faisons nous-mêmes de la France et de son rôle dans le monde, substituer à l’ignorance et aux préjugés fanatiques des