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REVUE PÉDAGOGIQUE

dans un des arrondissements les plus pauvres et à peine encore français, du moins par le langage.

J’avais plus d’une fois été frappé, et dans des milieux fort différents, de la banalité des cours d’adultes, de l’ennui qui était marqué sur le visage des auditeurs, de la somnolence qui les gagnait tous très rapidement malgré le zèle des maîtres, ainsi que de leur peu d’assiduité et de la faiblesse des résultats obtenus, et j’avais résolu de tenter moi-même une expérience. L’occasion se présenta bientôt.

Me trouvant en plein hiver, un jour de neige, en tournée d’inspection dans une commune de 401 habitants, pour ainsi dire perdue au milieu de la montagne, je devais y passer la nuit. J’avertis l’instituteur, homme fort dévoué et très estimé dans le village, que je me proposais, non seulement d’assister le soir au cours d’adultes, mais encore de le faire ; il voudrait bien pour une fois me laisser la parole et descendre au rôle d’auditeur. Mais, monsieur l’inspecteur, me dit-il, aujourd’hui on tue le cochon et c’est jour de fête ; il ne viendra assurément personne. — Eh bien ! répondis-je, cela ne fait rien ; prévenez les auditeurs habituels et la chose était aisée, les hameaux de la montagne étant très groupés — qu’il y aura néanmoins cours ce soir, et que je le ferai moi-même ; ajoutez que tout le monde peut venir, hommes et femmes (je demande bien pardon d’avoir ainsi donné moi-même le fâcheux exemple d’une infraction au règlement ; mais on ne fait pas tous les jours des expériences de cette sorte), qu’ils soient inscrits ou non, » À huit heures, heure convenue, je me rendis à l’école, un peu anxieux je dois l’avouer. Quelle ne fut pas ma surprise et ma satisfaction de voir réunies une quarantaine de personnes, dont un tiers de femmes environ. Après les avoir remerciées de leur expressément à répondre à mon appel et les avoir félicitées de la bonne volonté dont elles faisaient preuve, je me mis à les entretenir de différents sujets que je savais devoir les intéresser et parmi lesquels, si j’ai bon souvenir, le fameux cochon joua un rôle important ; il le fallait bien ; ce fut même, du moins je l’ai toujours pensé, un de mes grands moyens de séduction. Je réussis probablement à captiver complètement leur attention puisque, je me le rappelle fort bien, ayant proposé vers neuf heures de lever la séance, car je ne voulais pas, disais-je, les priver absolument d’une soirée qui était, selon leurs habitudes, consacrée au plaisir, mes auditeurs insistèrent pour que je voulusse bien continuer encore ; tant et si bien, qu’à dix heures je réclamais la permission d’aller me coucher, devant partir de très bonne heure le lendemain matin. J’avais, je vous l’assure, passé une excellente soirée et j’avais certainement été aussi intéressé que mon auditoire, sinon plus.

Mais, me dira-t-on, vous étiez l’inspecteur, et c’est pour vous que l’on était venu. Je conviens que l’instituteur n’aurait pas eu, un tel jour, aussi nombreuse assistance, et je pense que, dans des circonstances semblables, il eut fait sagement de ne pas ouvrir son école.