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LES COURS D’ADULTES

Cependant, si on était venu pour moi, ce n’est pas pour moi que l’on était resté, ni par pure déférence que l’on avait insisté pour pro longer la causerie. Et il est bien certain, par contre, que si j’avais parlé à ces braves gens des règles des participes passés et de la théorie des fractions dont ils ne se souciaient guère, ou bien encore si je leur avais proposé de les faire lire ou de leur faire une dictée, dont cependant ils auraient pu tirer profit, ils n’auraient pas tardé à me fausser compagnie et à filer à l’anglaise. Tandis que leur ayant parlé de choses nouvelles pour eux, dans un langage bien à leur portée, non seulement ils m’avaient accepté, mais ils m’avaient encore retenu.

Je n’ai pu renouveler cet essai, ni le recommander à la méditation des instituteurs, ayant peu de temps après quitté l’arrondissement. Puis vint le 16 mai, et ce n’est pas alors de modifications à apporter aux cours d’adultes que je pus m’occuper ; il y avait assez de besogne à défendre les instituteurs.

Deux ans après, lorsque la quiétude fut revenue dans les esprits, je pus, dans un autre département, reprendre mon idée et l’appliquer. C’est le second de mes souvenirs.

J’étais alors inspecteur à Carcassonne. Nous venions d’y créer, avec beaucoup de succès, la première école laïque de garçons, et je voulus profiter de la faveur dont le public l’entourait pour créer aussi des cours d’adultes qui n’avaient jamais existé. La municipalité fit connaître, par la voie des affiches, l’organisation que nous avions arrêtée de concert. Nous avions prévu des classes pour les illettrés, des cours de revision et de perfectionnement comprenant toutes les matières du programme des écoles primaires, puis des cours particuliers pour les jeunes gens employés dans le commerce (géographie commerciale, tenue des livres, etc.), des cours pour les ouvriers en bâtiment (coupe et assemblage des pierres et des charpentes, dessin, calcul pratique des surfaces et des volumes, etc.), enfin des cours spéciaux de sciences et des lectures faites par le maître sur des sujets variés et se rapportant spécialement aux événements les plus récents de la vie publique. Plus de 400 auditeurs se firent inscrire et suivirent les cours avec une régularité qu’expliquent le zèle et l’intelligence du directeur de cette importante école. Or, sur ce nombre considérable d’auditeurs, 150 seulement environ étaient illettrés. Si nous nous étions bornés aux cours primaires proprement dits, nous n’aurions donc pas répondu aux besoins de la majorité et notre tentative aurait certainement échoué dans un bref délai.

On m’objectera peut-être qu’il s’agissait d’une grande ville. Je répondrai qu’il reste l’expérience première pour les communes rurales ; et je prie qu’on n’oublie pas l’exemple des conférences d’agriculture dont je rappelais tout à l’heure les succès. Sachons intéresser notre auditoire, et nous ne manquerons jamais de le retenir ; tout le secret est là.