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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1906.djvu/361

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LE MAÎTRE D’ÉCOLE SOUS L’ANCIEN RÉGIME

La minorité s’opiniâtrait et envoyait ses enfants au recteur de son choix. Les parents des camps opposés s’injuriaient dans la rue, les écoliers se livraient des batailles rangées, et dans le sanctuaire, les magisters se disputaient le lutrin. Finalement, les habitants portaient leurs suffrages sur un tiers, et la paix était rétablie[1]. Le plus simple et le meilleur, en définitive, était de laisser au curé le soin de choisir son magister sous réserve de l’approbation des paroissiens. Tel était le mode de nomination usité en Normandie[2]. Restait à obtenir l’autorisation de l’évêque, et parfois celle de l’intendant.

D’après ce qui précède, on conçoit que l’instruction générale des maîtres était fort variable. On ne saurait donc formuler à cet égard de jugement catégorique, ni trop suspecter certaines délibérations de paysans ignares, résolus de se débarrasser d’un magister qui a cessé de leur plaire[3]. Si beaucoup de maîtres étaient plutôt faibles, on remarquait aussi une élite ayant pleine-

  1. Volenay, 1782. — Histoire de Volenay, citée par Charmasse, p. 89-90.
  2. À l’origine, le droit de présenter aux écoles fut considéré, par quelques seigneurs normands, comme une conséquence du droit de présenter à la cure. Cet honneur se négociait comme toute autre dignité. Le 18 août 1460, le curé d’Auvergni acheta des moines de Lire, au prix de 60 sous de rente, le droit de patronage des écoles de la Jeune-Lire (Léopold Delisle, Études sur la condition de la classe agricole en Normandie, p. 179), ce qui permet de supposer que ces écoles n’étaient pas gratuites. — De là parfois des conflits suivis de scènes violentes dont l’école mème était le théâtre. En 145, Guillaume des Hayes, ayant présenté aux écoles de Saint-Paer, Robert de Meynemares, seigneur de Bellegarde, se prévalant des prérogatives de son fief, se rendit dans la maison du maître d’école « accompagné de plusieurs personnes garnies de bâtons invisibles, et là, par force et voies de fait, s’empara de deux grands livres d’études et d’une arbalète appartenant audit maître ». L’affaire fut l’occasion d’un procès devant l’Échiquier de Normandie. (De Beaurepaire, ouvr. cité, t. I, p. 50.)
  3. Villers-sur-Aumale, xviie siècle. — Les syndics et principaux habitants adressent à l’archevêque de La Rochefoucauld un placet contre un magister, du métier de carreleur, qu’ils représentent comme incapable, ne sachant ni lire ni écrire, ni distinguer 1 d’avec 2 ; il avait été reçu par le curé. La plainte fut jugée calomnieuse. — Dans le département de l’Aube, en 1791, les paroissiens de Langayes se plaignent que depuis 39 ans que Guyottot, leur magister, est dans la paroisse, pas un seul enfant n’a appris à lire et à écrire : « Guyottot, ajoutaient-ils, a une habitude à laquelle nous ne pouvons adérer ; c’est de fumer considérablement sa pipe, laquelle est trop occupée par lui. » Cette méchante humeur ne dura pas puisque Guyottot, un humaniste de première force, continuait ses leçons l’année suivante. (Babeau, ouvr. cité.)