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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1910.djvu/434

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REVUE PÉDAGOGIQUE

Cette croix historiée, entourée parfois de vieux arbres, qui orne pittoresquement l’entrée du village, que rappelle-t-elle ? Quand a-t-elle été plantée là ? pour commémorer quel événement ? il l’ignore. C’est ainsi qu’il y a peu d’années, s’effritait abandonnée et indifférente, dans les champs de Crécy, la modeste croix élevée sur le lieu même où tomba héroïquement le roi de Bohême, Jean l’Aveugle, dans les rangs de la chevalerie française. Il a fallu, messieurs, vous vous en souvenez, toute votre érudition et l’intervention de membres de l’Académie des inscriptions et belles-lettres pour que ce monument fût relevé, honoré et restauré d’une manière digne de cette page mémorable de notre histoire, qui nous apparaît aujourd’hui comme le prélude de cette amitié slave, cimentée dans le sang, qui a traversé les siècles jusqu’à nous.

N’interrogez pas ce docteur de chef-lieu de canton sur ces noms parfois si pittoresques et si expressifs, que vous déchiffrez à l’angle des vieilles ruelles de sa petite ville, ou bien sur ces lieux-dits dont les noms sont évocateurs de drames historiques ou légendaires ; il ne les connaît que pour les trouver ridicules et il n’aspire qu’à les remplacer par quelque nom qui soit plus en rapport avec sa pauvre et vaniteuse mentalité. Ce vieux pont aux arches de pierre élevées et inébranlables, n’est-ce pas un pont romain ? Le villageois le plus instruit ne peut que vous répondre : on l’appelle ainsi. Ce chemin dénommé la voie romaine, qui se perd à travers champs et n’est plus frayé que par tronçons pour la rentrée des récoltes, où allait-il, d’où venait-il ? Il ne se l’est jamais demandé. Il ignore tout de l’histoire de son village ; personne n’a jamais cherché à l’en instruire et à provoquer de ce côté sa curiosité. Il n’est point un déraciné matériellement, un immigré, loin de là ! mais on a fait de lui un déraciné intellectuel et il ne sait rien du sol où ses racines familiales sont ancrées. On le laisse végéter dans l’ignorance traditionnelle de son passé ; seulement. comme il lit son Journal, imprimé dans le chef-lieu voisin, il se croit informé de tout ce qui est hors de sa portée ; il peut parler de tout, sauf de ce qui devrait pardessus tout l’intéresser, puisqu’il s’agit de sa tradition, de ses aïeux, de sa maison, de sa petite patrie.

N’avez-vous pas observé, dans les villes de garnison, tous ces