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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1883.djvu/109

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LES PETITES ÉCOLES DE PORT-ROYAL

innocence est fragile ; elle est comme une santé ébranlée par quelque terrible maladie. Une guérison est intervenue ; mais les rechutes sont probables ; elles sont terribles ; elles sont peut-être sans relèvement. Sans doute, même quand on est tombé, l’absolution présente encore un recours : mais pour l’absolution la grâce est nécessaire ; or, on ne peut compter sur la grâce. « Quand il ne pleut pas une seule goutte de cette grâce parmi les païens où la prédication de l’Évangile n’a jamais été ouïe, quelle merveille qu’elle ne pleuve pas autant qu’on le croit sur les chrétiens qui l’ont déjà foulée aux pieds et qu’elle ne tombe sur eux que rarement et difficilement, et non autrement que par une vraie pénitence[1] ? »

Donc la meilleure assurance de salut que nous ayons (et peut-être l’unique), c’est de conserver cette innocence du baptême. Or, c’est précisément le but de l’éducation ; car mille dangers la menacent. Ici les images abondent dans le style de Saint-Cyran. Les enfants sont des vaisseaux qui portent la grâce de Jésus-Christ reçue dans le baptême ; « mais comme ces vaisseaux sont extrêmement fragiles et que la mer du monde sur laquelle ils ont à voguer est sujette à une infinité d’orages, ils ont sans doute besoin d’un pilote qui ait beaucoup de sagesse et d’expérience et qui puisse heureusement les conduire au ciel, qui est le port où ils tendent. » Et ailleurs : « Il faut toujours prier pour les âmes et toujours veiller, faisant garde comme en une ville de guerre. Le diable fait la ronde par dehors : il attaque de bonne heure les baptisés ; il vient reconnaître la place ; si le Saint-Esprit ne la remplit pas, il la remplira. Il attaque les enfants et ils ne le combattent point, il faut le combattre pour eux. Il ne cherche que de petites ouvertures dans les âmes tendres, rimulas, dit saint Grégoire, c’est-à-dire ce qu’elles ont de plus faible, et qu’il regarde d’abord comme des espérances et des marques de réprobation[2]. » Et il s’éprend d’une grande pitié pour ces êtres faibles, exposés à un grand péril qu’ils ignorent, impuissants contre un ennemi qui emploie toutes les ruses. N’est-ce point, en vérité, des victimes vouées presque

  1. Saint-Cyran, Mémoires de Fontaine.
  2. Mémoires de Fontaine.